Les noces de fer
le temps presse !
— Lâchez-moi ! Mais lâchez-moi donc, huron que vous êtes…
Tinchebraye obéit.
— On s’attarde, messire ! enragea-t-il tandis que la querelle entre la mère et la fille s’envenimait :
— … il s’est évadé du château d’Angle !… S’il n’avait pas craint le jugement de l’évêque et de ses assesseurs… et qui te dit, pour Isabelle…
Tirant Blandine de côté, Ogier, toute patience envolée, fit face à son accusatrice :
— Celui qui a occis Isabelle, c’est Raoul de Leignes… Quant à vos calomnies, dame, elles mériteraient, si vous aviez l’âge de votre fille, une fessée à s’en bleuir la main… et votre séant… Comme je vous dois le respect, comme je tiens surtout à ce que l’entente voire l’affection règne entre nous, je vous conterai tout cela par le menu un soir au coin du feu, lorsque nous serons hors de cette cité !… Sachez cependant que depuis mon évasion d’Angle avec une jambe rompue par Guichard d’Oyré, un malandrin que vous admirez peut-être…
Si Blandine avait tressailli d’horreur, sa mère demeurait insensible. Pour croiser son regard, Ogier, de l’index, lui remonta le menton. Il ne trouva dans ces yeux-là, cillant à peine, qu’une aversion sans doute incurable.
— Sachez, dame Berland, que j’ai fait du chemin. Le roi Philippe m’a nommé son champion, ce qui signifie qu’il a envers moi des égards auxquels ni votre époux ni votre fils ni votre si parfait Rochechouart ne pourront de leur vie prétendre.
— Dites-lui qui vous êtes !… Dites-le-leur ! insista Tinchebraye.
— Plus tard.
La main Ogier retomba. Dame Berland baissa la tête. L’allusion au roi l’avait ébahie. Le regret – peut-être le remords – engourdissait sa colère.
— Je me suis emportée… Depuis hier, nous vivons sur les nerfs…
Blandine la saisit par l’épaule et la baisa au coin de l’œil.
— Oublions, mère… Oublions…
Ogier trouva qu’on avait suffisamment disputé :
— Dame, si vous tenez à la vie autant que votre fille, assemblez, vous aussi, ce à quoi vous tenez le plus dans un bissac. Et pour fuir aisément, je vous adjure l’une et l’autre de passer des habits d’homme… Ils ne doivent pas manquer céans !
Dame Berland frémit mais n’osa se regimber. Blandine avait acquiescé : pour elle, Ogier justifia son propos :
— Une robe s’accroche et accourcit les pas… Et comment courir si vous y êtes obligées ?… Votre pudeur et votre corps seront préservés, croyez-moi !… Et nos yeux seront davantage portés autour de nous que sur vos personnes !… Allons, hâtez-vous : l’assaut de ces démons ne saurait tarder… Il nous faut sortir de cette cité…
Tourné vers dame Berland, il prévint une objection :
— Peut-être pensez-vous que mes compagnons et moi devrions nous employer à la défense de Poitiers plutôt que de vouloir en sortir… Quelque chagrin que je puisse vous faire, cette ville est condamnée… J’avais prié Blandine, aux premières rumeurs d’invasion du Poitou, d’aller chercher refuge à Chauvigny…
— C’est ce que j’ai voulu faire ! Certains de repousser les Anglais, père et son fils se sont indignés… Aimery également…
Elle avait dit « son fils » et non « mon frère » et appelé Rochechouart par son prénom. Ogier trouva là un double achoppement pour son esprit déjà tourmenté. Il parvint mal à recouvrer son assurance.
— Hâtez-vous !… S’il vous déplaît, dame, de vous vêtir en homme, dites-vous que d’autres femmes, épouses et mères, n’y ont vu nul inconvénient : Jeanne de Montfort et Jeanne de Clisson. Et croyez-moi : quand Édouard III s’en vient ruiner notre royaume et qu’elle le remplace contre les Escots [49] , Philippa d’Angleterre porte un harnois de guerre…
Et brusquement :
— Connaissez-vous un souterrain ?
— Oui.
Réponse nette, inattendue. Ogier sentit son cœur battre plus fort tandis que Tinchebraye poussait un « ouf ! » sonore et que Joubert, lâchant sa blessure, se penchait en avant :
— Est-il loin, dame ? Est-il loin d’où nous sommes ?
— Sous l’église de Moustier-Neuf. Le chantre, Guillaume, était un de mes cousins. Nous y sommes allés un jour… Il y a plus de vingt ans… Nous étions jeunes…
Assurément, dame Berland regrettait ce temps-là. Qui était-elle vraiment ? Pourquoi aimait-elle son fils plus que
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