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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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moins que Calveley –, bourru, barbu, il avait des épaules en cuissot de chevreuil, de grosses mains noircies de poils sur le revers, et quand, saisissant dame Berland par la taille, il la souleva pour le franchissement d’un ruisselet qu’elle hésitait à enjamber, il prit à cette audace un plaisir si évident que la méprisante Poitevine n’osa s’en indigner par crainte de subir une lourde risée. Elle semblait d’ailleurs décidée à fournir à son entourage, y compris sa fille, l’exemple d’une volonté sans faiblesse.
    — Hâtez-vous donc ! dit-elle, poussant Joubert.
    Le pennoncier ne se courrouça pas : il était hors d’haleine. Ogier sentit la main de Blandine mollir dans la sienne et lui trouva les joues cireuses.
    — Courage !… Voyez : la voûte s’élève encore… Nous devons toucher au but !
    Ici, de grosses larmes calcaires formaient sur le rebord de la paroi où cessaient leurs coulures, des denticules qui semblaient avoir armé la mâchoire inférieure d’un monstre capable d’avaler un cheval d’un seul coup. Là, dans un renfoncement, scintillait un tel dépôt de bave gluante qu’il semblait que des milliers de limaçons venaient juste d’en partir. Antre noir frangé d’excroissances coupantes, tumeurs pierreuses, excoriations suintantes ; visqueuse ronceraie dont les griffes, soudain, s’accrochaient aux étoffes humides ; aspérités d’un sol où parfois une ornière vous mordait les chevilles ; monde déchiqueté dont, çà et là, les tapisseries de granit semblaient frémir à la lumière pourtant flétrie que Joubert remuait le moins possible. Blandine frissonna et dit :
    — J’en ai assez…
    Nul ne broncha, pas même Ogier. Pendant quelques toises, l’on n’entendit que le cliquetis léger des armes, les grésillements du lumignon au-dessus de sa coupe de fer, et des halètements dus à un regain d’angoisse plutôt qu’à la rareté de l’air.
    — Allons, du nerf !… Nous devons bien approcher !
    La voûte, taillée en un pesant berceau, s’argenta de coulées liquides. Ogier put voir, aux clartés fumeuses de la flamme, les hachures des fers qui l’avaient forcée, les unes droites, pareilles à de grands coups de peigne, les autres confuses comme un assemblage de brindilles.
    — Encore de l’eau ! dit Joubert.
    Ils en eurent jusqu’aux chevilles, puis jusqu’aux genoux et foulèrent un gravier mou, gargouillant.
    — Non, ne me soutenez pas, dit Blandine… Je ne chancelle pas, mais j’ai grand-peur.
    La pente se releva et le rocher, sous les pas, montra de nouveau son échine grise et luisante. Joubert se plaignit de son épaule.
    — Passe-moi ton flambeau.
    — Non, messire… Je le conserve encore un petit peu. Il semble que maintenant nous serons au sec…
    Le pennoncier promena la flamme courte, malade, le long des meurtrissures d’où l’eau cessait de sourdre.
    — Nous devons avoir dépassé le lit de la rivière, dit Ogier. Ne traîne plus ainsi ta barre de fer, Tinchebraye : l’issue de ce maudit boyau est proche.
    — Il est temps que nous l’atteignions, dit Blandine. L’air me fait de plus en plus défaut…
    Ogier la baisa sur la tempe. Cette nuit, au bras de cette pucelle, il entrait dans une nouvelle période de sa vie. Il fallait qu’ils fussent heureux, l’un et l’autre, l’un par l’autre, et songeant à cela, il ne pouvait que constater, une fois encore, l’état de dépendance où le plaçait cette présence aimée. Il n’avait jamais été emprunté avec les femmes. Ni contraint avant ni contrit après qu’elles se fussent livrées. La raison des « victoires » qu’il avait remportées auprès d’elles lui apparaissait maintenant avec une clarté presque humiliante : hormis Tancrède à laquelle mieux valait renoncer de penser, c’étaient toutes des meschines [52] , astreintes de par leur condition à la sujétion des mâles de haut ou bas lignage. L’espèce de loi d’amour régissant la vie dans les châteaux voulait qu’il en fût ainsi, et l’insolence de certaines femmes et jouvencelles convoitées et « possédées », les unes aisément, les autres après de molles résistances, n’était sans doute que l’émanation d’une haine – elle inassouvie – envers des séducteurs sans mérite. Il devait bien s’avouer que sauf Anne – comme cela semblait loin ! – il n’avait, au lieu d’amour, connu que des accouplements : belles conquêtes et belle

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