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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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la lumière soudain rosie par quelques losanges de verre, son nez parut moins rouge et moins gros. Sa bouche tremblota et ses fanons désenflés remuèrent :
    — Que le Seigneur me voie, me comprenne et m’approuve : je vais vous apparier !… Mariage de lourdiers [59] ou de manants ! Et comme te voilà mis, mon enfant : l’épée au côté, la cuirasse tachée de sang !… Noces de fer, en vérité ! Noces de fer ! Si elles vous satisfont tous deux, toi et elle, tant mieux… Mais vous, damoiselle Blandine, afin que j’oublie vos vêtements d’homme, poussez donc cette petite porte… Bien… Décrochez cette chape [60] grise et couvrez-vous-en… Apportez même, puisque vous êtes nu-tête, cette couronne abandonnée par la reine des joutes d’il y a trois ans… Je veux vous voir parée comme une mariée.
    Le manteau, large, était d’une étoffe rugueuse, d’un gris rosé ; ses pans traînaient sur les dalles. La couronne de clinquant fit sourire Blandine jusqu’à ce qu’Isambert eût ceint son front. Joubert alors siffla d’admiration : par ce cuivre vulgaire et ces joyaux d’un sou, la beauté de la mariée se trouvait rehaussée… à moins que ce fut elle qui fournît à cette coiffure un éclat sans précédent. Ogier, prêt à la complimenter, remarqua qu’elle portait pour la troisième fois, en grimaçant, sa paume dextre à son oreille.
    — Allez-vous bien ?
    — J’ai mal ici, au-dedans… J’ai dû prendre froid… Mariez-nous en hâte, frère Isambert… Mariez-nous en hâte !
    Ogier ne sut que dire ; ce qu’il venait d’entendre tenait plus de l’injonction que de la prière. Il se demanda si l’émoi de la jouvencelle eût été le même lors d’épousailles célébrées avec quelque magnificence, et se répondit par la négative. Et tandis qu’à nouveau Blandine pinçait les lèvres et portait la main à son oreille, il la prit par l’épaule et la serra contre lui :
    — Notre mariage sera différent de ce qu’il aurait dû être, mais croyez-moi, ma douce : nous en rirons plus tard et nos enfants aussi…
    Elle alla s’asseoir sur un banc, devant celui où s’étaient assemblés les soudoyers – sauf Delaunay qui veillait sur les chevaux et les armes. Il y avait dans sa pâleur, son pas chancelant et la façon dont elle penchait la tête, une langueur pleine d’éloquence. Elle résistait à sa tristesse et à son mal avec courage, un courage inefficace qui n’échappait ni à Joubert ni à Tinchebraye, lequel se leva pour dire à voix basse :
    — Messire Ogier, elle n’est pas bien… Tout ce froid que nous avons subi…
    — Je sais… Sirvin la soignera.
    — Je ne connais guère de filles, de femmes, voire d’hommes, messire, qui auraient supporté ce qu’elle a supporté…
    Ogier hocha la tête. « Moi, je connais des femmes hardies comme des hommes : Adelis, Tancrède, Hérodiade… Anne… Aude. » Allons, bon, il se livrait à des comparaisons déplaisantes et son énergie faisait naître en lui un sentiment de gêne et d’impuissance devant cette pâleur et cette douleur qu’il sentait augmenter, car la paume de Blandine quittait à peine, désormais, son oreille.
    — Va t’asseoir, Tinchebraye… Et vous, mon père, procédez vélocement… Blandine me donne de l’inquiétude… Plus tôt elle recevra des soins, mieux cela vaudra !
    Le clerc se regimba. Son visage débonnaire devint solide, dur, pétri d’orgueil et de certitude :
    — Il faut tout de même procéder aux constatations exigées par la sagesse de l’Église.
    Et le dos à l’autel, bras écartés comme le Crucifié, un peu plus loin, dans l’ombre glauque, le presbytérien demanda :
    — Y a-t-il, pour vous deux, quelque empêchement canonique ?
    — Aucun, mon père… Nous avons l’âge et ne sommes point parents…
    — Vous êtes bons chrétiens… Pour Ogier, je sais que son père veuf consentirait. Et pour vous, damoiselle ?
    Blandine décolla sa paume de son oreille. Ses yeux eurent une lueur née peut-être d’un ultime apeurement :
    — Ma mère est morte… Elle avait pour nom Tiphaine et était fille de Jean Ogier, clerc de Vivonne, et de Jeanne Cheville… Le chevalier Berland l’a épousée en 1320. Je suis née le 1 er  janvier 1325…
    Ogier pensa : « Elle est mon aîns-née de deux ans [61]  ! » Certes, elle semblait de beaucoup sa puînée. Certes, il manquait de clairvoyance pour ce qui concernait l’âge des

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