Les noces de fer

femmes. Ainsi, pour Adelis : il lui avait donné vingt ans, elle en avait six de plus.
    — … et mon père, à sa mort, s’est aussitôt remarié avec Philippa Lanière. Herbert le Jeune est né le 2 juin 1326, et aussitôt, mon père l’a institué héritier de tous ses biens… C’est pourquoi cette femme qu’Ogier a ramenée à Chauvigny ne m’est rien, et que son consentement ou son non-consentement serait sans effet…
    Blandine frémissait d’une colère sans doute réfrénée en fournissant ces précisions au clerc. Ogier eût aimé pouvoir connaître les espaces ombreux de cette âme de jouvencelle qui sans doute avait souffert, mais par la faute de qui ? Il s’était assis auprès d’elle ; il voyait son profil, ses paupières battantes, la faible ride qui exprimait, juste au coin de sa bouche, une amertume ou plus encore. « Qu’elle oublie tout ! Qu’elle soit heureuse ! » Mais était-il capable de lui donner le bonheur qu’elle méritait, cette élévation à laquelle, sans doute, elle aspirait, et ce respect qu’elle méconnaissait. Elle exhala un gémissement tremblé tout en reportant sa main contre sa joue, tandis que frère Isambert reprenait :
    — Il eût fallu qu’on vît vos noms parmi les bans que vous avez pu voir en entrant dans ce saint logis… J’y pourvoirai… Personne, céans, ne s’oppose à votre mariage ?
    — Non, dit Ogier.
    — Non, répéta résolument Blandine.
    — Avez-vous des témoins ?
    Sans quitter des yeux l’autel, Ogier pointa son pouce dextre par-dessus son épaule :
    — Ces hommes-là sont mes amis.
    Isambert désigna, devant la Sainte Table, une banquette couverte de velours violet qui devait être réservée à l’évêque Fort d’Aux lorsqu’il assistait aux offices :
    — Asseyez-vous… Serrez-vous un peu et soyez quiets… C’est le moment de vous recueillir et de vous dire que vous allez avoir de grands devoirs à remplir l’un envers l’autre… et de penser à Celui qui pour bénir d’avance tous les mariages de ce monde, assista aux noces de Cana… Priez, courbez le front !
    Ogier jeta un court regard sur Blandine. Qu’il l’aimait, même accoutrée comme une huronne ! Son plaisir s’obombrait pourtant de cette déception tenace : c’était en grand bobant [62] qu’il eût dû l’épouser et la sortir de cette église. Telle qu’il la voyait, elle lui faisait confusément peur. Cette indolence qui ajoutait un charme à sa beauté pourrait-elle s’accommoder de la vivacité qu’il portait en lui ? Il surprit une lueur de pitié dans les pupilles du clerc.
    — Je sais que ce n’est pas un mariage ordinaire, mon père… Vous l’eussiez pu célébrer à Gratot, où je suis sûr qu’on vous aurait accueilli à bras ouverts… La cérémonie de ce jour d’hui n’aurait été que des fiançailles…
    — Gratot ? s’étonna Blandine.
    — Messire Isambert y fut notre chapelain.
    Ogier n’ajouta rien. À quoi bon. Il avait vu le regard craintif du clerc et se sentait pour lui plein de mansuétude. « Sans son aide, j’aurais pourri dans ma geôle d’Angle avant que d’être occis par Guichard d’Oyré ! » Peu importait que Blandine apprît que ce presbytérien était un couard.
    — Je ne retournerai jamais en Normandie, Ogier. J’irai servir Dieu à l’abbaye de l’Étoile. J’expierai ainsi quelques faiblesses insignes… Mais approchez-vous de la Sainte Table… Avez-vous déjeuné ?
    — Rien avalé, mon père, depuis hier au soir : nous étions trop pressés d’atteindre Chauvigny pour nous arrêter le temps de prendre quelque nourriture…
    — Bien… Il me reste quelques hosties de ce matin… Avez-vous des anneaux ?
    — Non.
    — Comment, sans anneaux nuptiaux, voulez-vous que je vous unisse ?
    Cette cérémonie ne serait menée ni simplement ni promptement. Le temps passait ; le soleil tournait, déplaçant les ombres et les lumières. Sous la confuse jonchée de fleurs dues aux plombs des vitraux, les dalles blanches et roses semblaient lavées à grande eau. Et c’était une fraîcheur d’eau qui emplissait le sanctuaire.
    — Hé, messire ! dit Joubert. Je porte un anneau d’argent que j’ai gagné aux dés… Je veux bien vous l’offrir…
    Tandis qu’il s’évertuait à libérer son annulaire, Bazire annonça :
    — Je fais présent de ce petit doigt [63] à damoiselle Blandine…
    Si Joubert avait désormais les mains nues, Bazire, dont aucun