Les noces de fer
doigt ne portait de parure, possédait une dizaine d’anneaux suspendus à une chaînette qu’il portait au cou. Mieux valait en ignorer la provenance.
— Bien ! Bien ! se réjouit frère Isambert en marchant à la rencontre des soudoyers.
Il revint devant l’autel pour y saisir un ciboire d’or qu’il décoiffa de son couvercle.
— À genoux l’un et l’autre, et mains jointes…
Ogier trouva l’hostie amère et rassise. Il vit Blandine grimacer en avalant le pain sacré. « Elle est encore plus pâle… Elle souffre et je ne puis la consoler maintenant… » Frère Isambert se pencha :
— Voilà, mes enfants, le moment de vous recueillir… Veux-tu, Ogier d’Argouges, épouser cette pucelle au clair visage ?
— Oui… Et je le dis devant mes hommes d’armes : elle aura Gratot en douaire [64] .
Paroles inutiles, sans doute, mais comment eût-il mieux affirmé sa passion ? Il lui sembla que le moine avait sourcillé, mais c’était probablement pour mieux sonder le visage de l’épousée.
— Et vous, damoiselle Blandine que je vois ici pleurer… voulez-vous de ce jeune et vaillant baron pour mari ?
Un soupir s’exhala, en guise de préambule, d’une bouche qui se pinçait :
— Oui, car il est bel et bon.
Pour elle aussi le oui apparaissait trop cru, trop sec. Ogier contempla sa nuque lumineuse, ses cils d’or d’où tombait une perle qui glissait, glissait jusqu’à l’aile du nez. Pleurait-elle d’émoi ? Le mal s’acharnait-il au creux de son oreille ? Impassible, frère Isambert se permit une remarque :
— Vous n’apportez rien à Ogier, damoiselle, si je comprends bien… Rien que votre personne…
Blandine parue piquée au cœur ; elle eut comme un gémissement, puis regarda le célébrant en face. Un sourire bienveillant anima sa bouche à peine rose :
— Je n’apporte rien, messire clerc. Rien que ma personne, mon cœur et ma confiance… Et je n’en ai point honte.
— Vous avez le cœur droit et vous aimez Ogier… C’est pour un époux tel que lui grande et ample suffisance… N’est-ce pas, mon fils ?
La main du marié pressa celle de la pucelle. Isambert se pencha ; son ombre noya les jeunes gens agenouillés.
— Répète avec moi, Ogier : À tout jamais, dans la foi de Dieu et dans la mienne, saine ou malade, je promets de la garder…
Ogier répéta ; les yeux de Blandine s’étaient de nouveau embués tandis qu’elle lui offrait un regard où l’amour n’était plus seul. « Elle souffre… Qu’a-t-elle bien pu attraper ? » Les respirations des soudoyers et leurs mouvements, derrière, formaient des bruits légers, engourdissants. Que pensaient-ils ? Mieux valait n’en rien savoir. Lui, Ogier, vivait paisiblement ce grand moment de la vie d’un couple. Son cœur ne battait guère plus que d’ordinaire. Et pourtant…
Considérant les anneaux sur sa paume, qu’il referma brusquement, comme s’il venait d’attraper une mouche, le clerc récita, les yeux levés vers la plus haute voûte de la nef :
— Que le Créateur et le Conservateur du genre humain, que le Donneur de la grâce et de l’éternel salut fasse descendre sa bénédiction sur cet anneau…
Il passa le petit cercle d’or à l’annulaire de Blandine, puis l’en retira : il avait simplement voulu savoir s’il s’y adaptait ; alors, selon la coutume de Rouen, d’où il était natif, il fit toucher l’anneau à tous les doigts de la jouvencelle, après quoi, disant « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit », il le remit à l’annulaire :
— De isto anulo te spondeo ; de isto auro te honoro ; de ista dote te doto [65] …
Il recommença le rituel pour Ogier ; après quoi, réunissant entre ses mains les têtes des jeunes gens, il haussa la voix :
— Dieu, jetez dans l’intelligence de ces enfants les semences de la vie éternelle !… Qu’il vous bénisse et vous apprenne Lui-même à lui être agréables dans votre corps et dans votre âme… Levez-vous…
Ogier reprit la main de Blandine. Étrange mariage. Il semblait faux, et pourtant… Elle lui souriait, mais était-elle heureuse ?
— Je le regrette bien, mes enfants : il n’y a pas eu de messe, pas de Sanctus et d’Agnus Dei… Je ne viendrai pas, ce soir, bénir votre lit nuptial, mais que la main du Seigneur soit sur vous, et qu’il fasse descendre du ciel un de ses anges pour devenir votre gardien tous les jours de votre vie.
Et
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