Les noces de fer
le mire l’examinât. Ogier trouva que sa bonne santé pouvait passer pour indécente.
— Allons, ma douce… Apaise-toi… Essaie de t’apaiser…
Plus qu’elle encore, peut-être, il jugeait imméritée cette nouvelle épreuve. À ses caresses légères sur les épaules où s’épandaient, défaits, les cheveux d’or, il était désormais incapable d’ajouter quelque autre mot. Il revoyait Blandine au sortir de Saint-Pierre, pinçant de temps à autre les lèvres quand d’importune, la souffrance prenait de la dureté. Maintenant, il eût voulu enlacer doucement sa femme , l’endormir de chastes tendresses sans même effleurer cette bouche fiévreuse d’où s’exhalait un gémissement d’enfant blessé.
— Je sais, dit Benoît Sirvin, que si j’en avais le don, tu me demanderais de prendre son mal en échange de ta… sérénité… Je devine à quoi tu penses…
Le mire s’éloigna. « À quoi je pense ! » Eh bien, oui, il pensait à se confondre à ce corps délivré de douleurs, avide d’émois et d’ardeurs semblables aux siens. « Mariés !… Nous voilà mariés ! » Cette évidence dont son esprit demeurait empli depuis la bénédiction des anneaux le disposait à la patience : « Si cette nuit, Blandine n’est pas tienne, elle le sera la nuit prochaine… Vous avez toute la vie pour vous aimer ! » Toutefois, il se mentait un peu. Il en voulait même à la jouvencelle – innocente ô combien de ce désagrément – de s’être révélée fragile autant que certaines princesses des romans de Chevalerie, à commencer par Yseult la dolente. Mais l’amour, son amour retremperait cette beauté ; la joie rirait sur cette bouche plaintive, et seul le vent de mer, le grand vent de Gratot, mettrait des larmes dans ces yeux las.
Il tenait toujours la petite main dans la sienne. La main, le bras, l’épaule… Il essaya d’imaginer ce corps abandonné. Nu. Il crut y parvenir bien que les habits d’homme, quoique révélateurs, fussent plus gênants qu’une robe. Comme elle devait être belle !
Son regard, ses pensées n’échappèrent pas à la sagacité du mire, qui venait de réapparaître :
— Songe à ton corps plutôt qu’au sien : sans qu’il soit nécessaire de la coudre, ton épaule a besoin d’être nettoyée et serrée dans des linges propres… Quand ton épouse reposera dans cette chambre où tu vécus trois mois, je vous soignerai, toi et ton pennoncier… Le lit est fait… Odile vient de redescendre… Sitôt notre malade allongée, je lui appliquerai ce remède aux bourgeons de peuplier.
— Soit, dit Ogier, en sentant ses joues le brûler.
— Elle devait déjà être atteinte à Poitiers… Elle est fragile… J’ai pourvu à tout, sois sans crainte pour elle et pour tes soudoyers.
Odile entra, toujours vêtue de noir, les cheveux enfermés dans une guimpe blanche, l’air absent, mais le regard soudain attendri lorsqu’il se posa sur Blandine. D’un geste, elle lui demanda de se lever pour absorber la potion fumante qu’elle avait versée dans une jatte de porcelaine blanche. L’odeur en était douce, mais Blandine eut un mouvement de répulsion. Ogier voulut l’adjurer de boire ; Benoît Sirvin le devança :
— Craindriez-vous d’être enherbée [67] ? La bétoine, la menthe et le fenouil n’ont jamais fait mourir personne… Buvez et vous dormirez dans peu de temps… Buvez et vous écourterez vos souffrances !
— Obéis, dit Ogier.
Il trouva sa voix plaintive et s’en voulut. Il aurait dû montrer plus d’autorité, mais en fait, mieux valait décevoir Sirvin que Blandine. « Dieu m’inspire cette épreuve et je dois l’accepter sans me regimber. » Ailleurs, comment eût-il agi ? Il avait retrouvé le mire avec plaisir et il était obligé d’admirer cet homme pour son savoir, son habileté, sa puissante personne où la débonnaireté l’emportait sur une fierté très ancienne et dont il ne subsistait presque rien : quelques accès pareils à des poussées de fièvre. Il lui sourit lorsque Blandine se mit à boire, et Sirvin lui rendit son sourire – un sourire de complicité – quand la jouvencelle, après un bâillement, se laissa retomber en arrière.
— Elle dormira paisiblement… Tu vas la soulever dans tes bras et l’emporter dans ce galetas où tu t’es langui tandis que se guérissait ta jambe. Certes, c’est une chambre indigne de jeunes époux de votre espèce… Vous pourrez en
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