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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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désespérance !
    — Je le jure.
    Un sourire décolla les lèvres du vieillard :
    — Viens, partons… Nous voilà réconciliés…
    Tandis que, leurs ombres mêlées, ils marchaient vers les chevaux en feignant de s’ignorer l’un l’autre, Ogier pensa : « Et Blandine ? » Certes, il disposerait du temps nécessaire pour la préparer à cette séparation. Mais comment l’accepterait-elle ?
    Il sauta en selle. Promptement, le mire y fut aussi.
    — Tu trouves tout cela incroyable ?
    — En vérité… Mais je ferai ce que vous souhaitez.
    Un changement s’opéra chez Ogier, qu’il n’osa trop sonder tant il lui paraissait inconvenant : sa fureur aurait dû persister or, il se sentait paisible. « Paisible ? Non : asservi », s’avoua-t-il. De qui dépendait-il : de Dieu ou de Sirvin ?
    — Tout est incroyable pourvu qu’on y prête attention… Regarde cette buse au-dessus de nous : elle est plus lourde que l’air qui la porte, et il semble, pourtant, qu’elle ne pèse pas plus qu’un flocon de neige… Le soleil te paraît plat et rond : c’est une informe boule de feu… Tout ce qui nous entoure est parfois incroyable, et c’est pourquoi rien n’est plus digne de respect, chez certains hommes, que cette volonté de connaissance qui, satisfaite de loin en loin, devient profitable à tous… Certains Grands Maîtres et vénérables de chez nous la possédaient. Dieu ne leur a jamais tenu rigueur de leur besoin de sonder le sol, les monuments et les livres…
    — Il n’est pas bon d’en savoir trop, messire. L’ombre est douce aux yeux et aux corps, contrairement à la froide clarté…
    De crainte qu’il ne se moquât, Ogier évita le regard de son compagnon.
    — L’aveugle te dira qu’il se trouve imparfait. Nous sommes tous aveugles, et sans lumière rien ne pousserait ni ne croîtrait sur terre… Il en va des idées comme des arbres et des herbes…
    Les chevaux avançaient lentement, l’un près de l’autre. Leurs fers touchaient parfois une pierre sous les herbes, et c’étaient les seuls bruits qu’Ogier entendait. Parfois l’envol d’une pie, d’une grive ou d’une caille troublait la quiétude du ciel.
    — Si tu perds d’une façon ou d’une autre ce que je vais te confier, dis-toi bien que ce sera volonté divine.
    — Qu’allez-vous faire, messire, de vos livres ?
    — Je les brûlerai avant que la mort ne me prenne. Sans regret. Il y en a des coffres pleins dans notre secrète chapelle. Un jour, quelqu’un les en sortira et cette fois, la Vérité triomphera.
    — Messire, Jésus-Christ…
    Le vieillard eut un geste tranchant :
    — Je ne t’en ai que trop parlé… Davantage que tous les livres… Car il n’est ni dans Samuel, ni dans Esdras, Nehemie, Ezechiel, Daniel, Osée… et moult autres… Il était pourtant fils d’Israël… N’en parlons plus, te dis-je.
    Ogier regarda le ciel pur et décida de se taire. Se sentant tout à coup épié, il se retourna brusquement. Il y avait des buissons touffus, autour de lui, autour d’eux, où des hommes auraient pu se musser. Qui l’avait observé avec cette intensité cuisante ? Ce ne pouvait être Dieu… Alors, qui ?
     
    *
     
    — Reconnais-tu ce champ, Ogier ? demanda le vieillard lorsqu’ils cheminèrent le long des murailles de Chauvigny.
    — Je ne l’oublierai de toute ma vie. J’y ai vaincu d’abord, souffert ensuite. Je ne regrette rien, désormais.
    — Certes… Sache-le : j’y suis fréquemment venu. C’est au bord de la Vienne, à proximité de l’endroit où tes hommes et toi aviez dressé votre tref [108] , que les chevaliers à la croix noire plantèrent leurs pavillons au lendemain de ce grand pardon d’armes, après que l’évêque eut renoncé à les héberger plus longtemps. J’ai compté douze tentes. Ils s’exercisaient entre eux à la joute, au béhourd et leurs archers faisaient merveille sur des bersails [109] d’osier tressés par eux-mêmes. Ils étaient encore présents avant-hier… Les Chauvinois qui aimaient à les regarder vont être déçus.
    Les tentes avaient été démontées. Rien n’indiquait plus la moindre présence.
    — Viens, dit le vieillard. Voyons cela de plus près.
    L’emplacement des pavillons se remarquait encore : l’herbe avait disparu par endroits. Il subsistait de rondes et larges calvities. Des mottes de crottin frais et quelques trosses [110] abandonnées çà et là révélaient l’emplacement de

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