Les noces de fer
souvient – trouvé le Christ fixé dessus, sacrilège…
Le vieillard toussota puis, d’une voix plate, comme si cette constatation était dépourvue d’intérêt :
— Pour des chrétiens, Jésus est inséparable de la Croix… J’en ai taillé un dans du chêne et l’ai fait nu et vieux de cinquante ans puisque tel était son âge quand il mourut… Et crois-moi : s’il avait été ce que tu crois qu’il fut, il serait sorti de ses clous et se serait revanché sur ses tourmenteurs !
Ogier ne broncha pas. Si sa foi ne se pouvait fortifier à mesure que le vieillard lui portait des coups, elle ne subissait aucune dégradation. Pour lui, le Christ était aussi un être humain par excellence. Il s’apercevait, néanmoins, qu’il avait toujours repoussé comme sacrilège la tentation de se demander si cet Homme avait été assujetti, puisqu’il mangeait et buvait, aux mêmes exigences que les siennes.
— Allons, ne fais pas cette tête… Pour tout savoir sur ce Zélote qui fut un guerrier, il te faudrait connaître l’hébreu, le copte, le grec, l’éthiopien, et te pencher sur les vieux livres. Tu t’apercevrais des falsifications que les moines copistes ont commises envers une histoire belle en soi-même pour créer une religion qui jamais n’aurait dû exister… Ah ! je pressens ce que tu te prépares à me dire : elle compte ses martyrs par milliers. Il n’empêche que c’est une religion fausse, et cela, les Albigeois l’avaient su avant nous… Sais-tu que Raymond-Roger, comte de Foix, fît un jour déclouer un Jésus de sa croix ?… Il lui fit faire, à la tarière, un trou au cul pour l’empaler sur un support de quintaine…
— Un fou !
— … et tous ses chevaliers lui coururent sus en lui criant, à chaque coup de lance heureux : « Rachète-toi ! » C’est la vérité !
Ogier se garda de s’encolérer. Jamais sa foi ne lui avait paru si solide. À force d’avoir voulu la détruire sinon l’ébranler, le mire l’avait renforcée.
— Messire, voilà pourquoi cette hérésie est morte : on ne joue pas impunément avec le fils de Dieu !… L’expiation, pour les Templiers et patarins, fut à la mesure du sacrilège… Je ne nie pas qu’il y ait eu, parmi les gens du Temple et ceux de la Langue d’Oc, des hommes de cœur, mais le mal qu’ils commirent ensemble méritait un grand châtiment… Je comprends mieux, désormais, la valeur de cette Croix dont ces chevaliers de Germanie voudraient s’emparer… Je comprends que l’on marche avec foi et sûreté derrière elle… Mais nullement pour occire : pour aimer son prochain !
— Tu te rendras à Payns à la Noël prochaine… Tu laisseras ton chariot dans un bois et à midi, tu iras devant la demeure de messire Hugues. Deux tours en flanquent l’entrée… Devant l’une est un orme… l’orme de frère Andriel… À la hauteur de ton nez, tu verras un creux dans son tronc… Tu y déposeras un sceau que je te donnerai à Chauvigny et qui représente deux chevaliers sur un cheval… Puis tu t’en iras et à la minuit, tu prendras le chemin de Troyes et trouveras sans mal la chapelle de la Loge… Tu abandonneras alors le chariot et le limonier et partiras à pied pour Troyes… Là-bas, tu iras chez un savetier du nom d’Archambaud et tu lui montreras un anneau que je te donnerai aussi. Il t’offrira le cheval avec lequel tu reviendras à Gratot… Tu vois, certaines choses, chez nous, ont été prévues pour l’éternité… On n’anéantit pas le Temple !
— Messire, si quelque sergent du guet, à l’entrée d’une cité…
— Cette Croix n’aura de valeur infinie que pour toi. Prétendrais-tu que c’est la Vraie que nul ne te croirait.
Dans un silence lourd, Ogier entendit crisser les herbes, entre les mâchoires des chevaux, et les fouettements de leurs longues queues chassant les mouches.
— Je m’acquitterai de ma promesse.
— Si quelques malandrins venaient à t’assaillir, ne te conduis pas en chevalier du Temple : n’attends pas trois assauts pour tirer ton épée… S’ils sont trop nombreux, cependant, ne perds pas la vie bêtement.
— Je ferai au mieux.
— Et si ton précieux fardeau t’est ravi avant d’avoir été déposé en lieu sûr, ne sois pas désespéré. Dis-toi que c’est la volonté de Dieu : le Vrai, le Seul ; Celui que tous les peuples de la terre nomment différemment : le Créateur… Jure-moi de surmonter ton dépit et ta
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