Les noyés du grau de Narbonne: une enquête d'Erwin le Saxon
tout cas, nous avons pensé qu'elle allait nous rejoindre ici, chez moi, sachant que je devais m'y trouver en compagnie de son époux. Puis, l'attente se prolon≠
geant, nous avons hésité : devions-nous espérer encore sa venue ou bien nous rendre immédiatement auprès d'Octavien pour l'aider à poursuivre les recherches?
Finalement nous avons préféré continuer notre veille.
Ah, cette nuit, ce cauchemar que nous avons vécu, tu imagines dans quelle angoisse !
Finalement, quand avez-vous été mis au courant de l'atroce réalité?
Le lendemain, à la mi-journée. Faustin, comme vous le savez sans doute, avait retrouvé Laetitia en allant relever ses filets à l'aube. Après l'avoir sortie de l'eau et déposée sur la rive la plus proche, il s'est pré≠
cipité à Narbonne o˘ il a averti la garde du comte. Justus, son commandant, avant d'entreprendre une
reconnaissance, nous a fait prévenir qu'une noyée avait été découverte. Nous avons encore espéré : Faustin pouvait s'être trompé, encore que...
Foucaud s'essuya les yeux.
-
Après qu'elle eut été reconnue par Justus,
Geroul et d'autres, nous avons d˚ nous rendre à l'évi≠
dence. Et quelle évidence !
Le Grec passa la main sur son collier de barbe, avec un air perplexe.
Une évidence trop cruelle. qui pourrait le nier ?
Cependant un crime aussi barbare ne peut être commis sans motif. As-tu une idée des raisons, même les plus folles, qui auraient pu pousser des êtres humains à
accomplir un acte pareil ?
Clémence et moi-même, Fabian et son père,
avec tous nos proches, nous n'avons pas cessé de nous poser cette question, sans trouver, hélas ! la moindre réponse satisfaisante. Pourquoi, mais pourquoi?
On peut en imaginer quelques-unes pourtant. Par exemple, des personnes envieuses de la fortune d'Octavien et de toi-même ! "
Jusqu'à commettre un tel forfait?
Ou encore un fou qui ne trouverait de plaisir qu'à torturer les femmes?
C'est la seule idée qui nous soit venue en tête, déclara Foucaud.
Tout le monde se connaît dans une cité comme
celle-ci. Si donc un homme avait l'esprit assez dérangé
pour être capable d'une telle horreur, cela pourrait se savoir, me semble-t-il.
Les fous les plus dangereux ne sont-ils pas ceux qui ne le paraissent pas?
Il est vrai ! acquiesça Timothée. Reste que le meurtrier, fou ou non, ne peut être qu'un homme acharné et rusé, et qu'il doit aussi disposer de complices. Car enfin, enlever une femme, jeune, vigoureuse - Laetitia l'était à ce qu'on m'a dit -, la transporter, la faire périr par noyade ainsi, cela suppose une continuité perverse dans les idées, une dose infer≠
nale de malignité et des hommes de main prêts aux plus répugnantes besognes. Et à ce propos...
Le Goupil, pour mieux souligner l'importance de la question qu'il allait poser ensuite, suspendit un instant son interrogatoire pour boire une gorgée de vin.
A ce propos, reprit-il en fixant Foucaud, com≠
ment les meurtriers ont-ils pu procéder, car il y a une bonne distance entre le domaine d'Octavien, o˘ Laeti≠
tia a été peut-être enlevée, et le grau de Narbonne près duquel son corps a été retrouvé?
Plusieurs itinéraires sont possibles, par le nord ou par le sud, moitié par voie de terre moitié sur l'eau, jusqu'à l'étang de l'Ayrolle.
Un long chemin de toute façon.
Cela dépend aussi de l'embarcadère que ces
canailles ont décidé d'utiliser pour transférer la mal≠
heureuse sur un bateau.
En existe-t-il beaucoup ?
Pas mal en effet. Certains sont utilisés régulière≠
ment par les armateurs, d'autres ne servent qu'à des pêcheurs.
Les meurtriers ont d˚ mettre des heures pour
transporter leur victime jusqu'au lieu de la noyade.
Le Grec se caressa le menton.
-
Je me demande, dit-il, comment les ravisseurs ont pu parvenir à ne pas attirer l'attention sur un aussi long trajet. La nuit, quoi qu'on pense, il y a toujours des yeux et des oreilles à l'aff˚t partout. Je retiens sur≠
tout de ton témoignage qu'il a fallu, pour faire périr Laetitia de la sorte, une véritable expédition et surtout des complices. Pour perpétrer de cette façon un tel crime, les assassins devaient avoir des raisons très fortes, car chaque complice constitue, pour eux, un danger mortel : la peur, le remords...
Le comte Childebrand était revenu bougon, mais satisfait en somme, de l'inspection qui lui avait permis de vérifier la vigilance des garnisons assurant la
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