Les noyés du grau de Narbonne: une enquête d'Erwin le Saxon

triste sourire, elle répliqua :
    Crois-tu vraiment qu'il aurait eu besoin de la tuer pour l'en empêcher?
    qui sait?
    Elle se tourna vers l'abbé Erwin.
    -
    Toi, tu sais, lui lança-t-elle. Et tu sais bien que non!
    Elle ajouta en soupirant :
    -
    Amalbert, tuer Laure ? Mais, après qu'elle lui a annoncé qu'elle voulait le quitter, il a tout essayé pour la faire revenir sur sa décision. Il n'a jamais cessé de l'aimer! Et quand il m'en a parlé, la dernière fois, à
    son passage, bien qu'elle f˚t morte, son amour pour elle, lui, n'était pas mort. Une mère sent ces choses-là !
    Erwin lui dit alors à voix basse :
    -
    Il t'a confié son fils, n'est-ce pas? Le petit Leuthard est ici.
    Elle hésita un long moment.
    Allons, ajouta le Saxon, tu as déjà répondu !
    Il est ici, en effet, confirma-t-elle.
    Fort bien, affirma le comte, nous allons pouvoir le ramener à Narbonne avec nous !
    Je ne suis pas s˚r que nous devions le faire, objecta Erwin, s'adressant à son ami en latin.
    Et pourquoi donc? s'écria Childebrand, surpris.
    -
    Pour les familles de Geroul et de Catulle, expli≠
    qua l'abbé, cet enfant est le signe vivant de la honte!
    Pour l'une la preuve de l'impuissance, celle d'Harbald le Jeune, pour l'autre la marque de l 'inconduite scan≠
    daleuse d'une aînée. Alors, un malheur est si vite arrivé, surtout dans un pays o˘ trois meurtres se sont produits récemment et o˘ l'on n'aperçoit, dans de telles familles, que mensonge et fourberie ! quelle ten≠
    tation pour elles que de faire disparaître cet enfant !
    -
    Ils n'iraient pas jusque-là, quand même !
    -
    Certains ont déjà été aussi loin, et même davan≠
    tage.
    Le comte serra les poings.
    Mais, par les tripes du diable, s'exclama-t-il, laisser cet enfant ainsi aux mains de cette Sarrasine...
    .... de cette demi-Sarrasine, qui se trouve en outre être sa grand-mère. Une certitude : d'elle nous n'avons rien à craindre. Elle saurait au besoin le défendre, comme une tigresse, j'en suis certain.

    N'est-il pas, pour elle aussi, une honte, un enfant adultérin ?
    N'oublions pas, ami, qu'elle n'a eu qu'un fils qui lui a apporté soucis et chagrin, et qu'elle a reporté
    à coup s˚r tous ses espoirs sur son petit-fils.
    Tu nous proposes là un pari bien risqué, me
    semble-t-il.
    Narbonne et tous ses pièges mortels n'est-elle pas le lieu de tous les risques ?
    Tandis que Childebrand et Erwin échangeaient ces propos, Nadjet s'était approchée de la plus ‚gée des domestiques et lui avait glissé quelques mots à l'oreille. Celle-ci avait quitté la pièce et elle y revint peu après, portant dans ses bras un nourrisson emmail≠loté si serré qu'on n'en voyait que la face rougeaude.
    -
    Voici mon unique descendant, qui porte le nom de celui qui fut mon époux. J'ai tenu à ce qu'il vous soit présenté comme marque de la toute confiance que j'ai en vous, seigneurs, dit la maîtresse du domaine.
    Elle prit l'enfant contre elle et elle l'embrassa ten≠drement.
    -
    Vous ne me l'enlèverez pas, n'est-ce pas?
    supplia-t-elle.
    Le comte grommela une appréciation indistincte, cependant qu'Erwin explicitait :
    -
    Ta franchise et ta confiance nous ont convain≠
    cus. Dis-toi bien que nous le confions à ta garde. Nous te considérons comme responsable de tout ce qui pour≠
    rait lui arriver désormais de f‚cheux. Veille sur lui comme sur la prunelle de tes yeux !
    La femme, après avoir replacé le nourrisson dans les bras de la servante, se précipita aux pieds des envoyés de l'empereur. Bredouillant des paroles émues de remerciements, elle saisit tour à tour la main droite du comte et celle de l'abbé pour les baiser avec la fougue de la reconnaissance.
    -
    que Dieu vous bénisse, s'écria-t-elle, et qu'il bénisse aussi un roi qui a des serviteurs tels que vous !
    Lorsque les missionnaires du souverain eurent repris la route, le Nibelung se pencha vers le Saxon qui che≠vauchait à son côté.
    -
    Je n'arrive pas à me sortir de la tête, lui dit-il, qu'en dépit des dénégations de sa mère, Amalbert avait des raisons bien fortes pour se débarrasser d'une femme qui en savait trop long sur son compte... et aussi sur l'origine de celle qui l'a mis au monde.
    - Moi non plus, répondit Erwin. Et pourtant...
    Doremus, que ses seigneurs avaient chargé de parer à toute éventualité en leur absence, fut très surpris de recevoir une demande d'audience adressée à la mission par le frère de Fabian, Lucien l'…légant. Il se