Les noyés du grau de Narbonne: une enquête d'Erwin le Saxon
agir au plus vite. Aussi les missi domi-nici décidèrent-ils de s'y rendre dès le lendemain, accompagnés par leurs assistants, à l'exception de Doremus qui demeurerait à Narbonne pour veiller au grain, par Nogret comme interprète, ainsi que par Sau≠v‚t avec l'appui de deux gardes. Bien qu'Agnès e˚t exprimé le souhait de prendre part à cette action, Erwin lui opposa un refus attristé.
L'opération projetée, fit-il valoir, peut se termi≠ner par un affrontement et je ne vois vraiment pas la
nécessité de te faire courir des risques inutiles.
J'en ai couru bien d'autres, récemment encore.
Mais pour une cause qui t'importait. Alors que celle-ci... Et puis c'était avant, Agnès...
Les missi et leur escorte, retardés par des orages et des vents violents, n'arrivèrent à proximité de Lunas que le lendemain de leur départ, au début de l'après-midi. Ils envoyèrent Sauv‚t et un garde en éclaireurs observer la propriété des parents d'Amalbert dont le gaon avait fourni une description précise. Le Colosse roux en revint sans avoir aperçu rien d'autre que des maraîchers en train de biner et de herser la terre pour les semis. Néanmoins Childebrand et Erwin estimèrent qu'il fallait redoubler de précautions en approchant de leur destination. quand ils pénétrèrent sur le domaine, les esclaves qui y travaillaient se redressèrent et jetèrent des regards craintifs sur ces hommes en armes qui chevauchaient vers le mas.
Apparemment aucune menace. Une servante qui mettait du linge à sécher, laissant là sa corbeille, se précipita à l'intérieur de la demeure. Elle en ressortit quelques instants après, sui≠vie par une femme brune, grande, mince, au regard dur, qui fit quelques pas en direction des arrivants.
- Vous pouvez approcher sans crainte, leur lança-t-elle, ayant observé que ses visiteurs se tenaient prêts à dégainer. Il n'y a ici que des hommes au travail et des domestiques !
Sur un signe du comte, Sauv‚t alla, à cheval, jeter un coup d'úil sur les resserres, sur la grange et autres b‚timents; puis il descendit de sa monture, fit le tour de la maison, y pénétra et revint en indiquant qu'il n'avait rien vu de suspect. Alors seulement les missi et ceux qui les accompagnaient mirent pied à terre. Le Colosse roux et les deux gardes furent chargés de veil≠ler sur les chevaux et de continuer à observer les alen≠tours. Erwin et Childebrand, suivis par Timothée et par le frère Antoine, ainsi que par Nogret, pénétrèrent dans la demeure à la suite de la maîtresse de maison.
Ils y trouvèrent, assis près de l'‚tre, un vieil homme aux traits burinés, deux servantes, l'une jeune et l'autre ‚gée, qui triaient des lentilles, et un garçon d'une dou≠zaine d'années qui entretenait le feu. Avant même que Childebrand ou Erwin n'ait prononcé un mot, Timo≠thée lança à la cantonade : . .
-
Salam'aleikum!
Prise à l'improviste, l'hôtesse répondit machinale≠ment :
-
Aleikum salam!
Alors, sursautant, avec un visage épouvanté, elle jeta sur le Grec un regard terrible.
-
qu'est-ce que cela signifie? demanda le Saxon.
Est-elle sarrasine?
-
En tout cas elle parle arabe, quoique avec un accent épouvantable, répondit le Goupil.
Erwin réfléchit un court instant, puis se tourna vers Nogret.
-
Demande-lui donc si elle est bien la mère
d'Amalbert!
L'interprète s'exécuta.
Elle affirme qu'il en est bien ainsi. Puis-je ajou≠
ter qu'elle connaît parfaitement la langue romane telle qu'on la pratique par ici et qu'elle n'a pas, en la pro≠
nonçant, le moindre accent, sarrasin ou autre.
quoi, s'indigna le Nibelung, cette femme est une Sarrasine? Leuthard, un Franc de bonne race, l'aurait prise pour femme, et Amalbert, leur fils, aurait ainsi du sang arabe dans les veines ? Mais en quel pays vivons-nous donc?
En Gothie, répondit l'abbé, en un pays o˘ plus d'un Goth et plus d'un Franc ont agi de la sorte après sa reconquête, sans aller cependant, en général, jusqu'à
épouser leurs captives. A l'inverse, plus d'une femme franque ou wisigothe a été engrossée, de gré ou de force, par des Sarrasins jadis, quand les émirs tenaient encore la contrée sous leur joug.
J'admire ta sagesse, mais elle ne me convainc pas.
Crois-en un Saxon : l'essentiel n'est-il pas de bien servir Dieu et Charles le Magnanime ?
Il adressa un sourire à son ami qui continuait de grommeler.
__ Et le moment n'est-il pas venu d'en savoir un peu plus
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