Les noyés du grau de Narbonne: une enquête d'Erwin le Saxon
elle, commença à faire préparer une décoction de feuilles et d'écorce d'olivier qui, absorbée plusieurs fois par jour, devait faire tomber la fièvre. Puis elle se rendit au marché o˘ elle trouva, sur l'étal d'herbo≠ristes, des fleurs de guimauve pour des infusions desti≠nées à calmer la toux, des racines de plantain pour des gargarismes, de la chélidoine pour confectionner avec du miel un adoucissant pour la gorge. Elle demanda d'autre part à Frébaud de renforcer avec des aromates un vin miellé qui accompagnerait des aliments légers mais roboratifs tels que des galettes très fines, du blanc de poulet, du lait caillé et des fruits, surtout des poires connues pour leurs effets apaisants. Mais Erwin, pour l'heure, était bien incapable d'absorber la moindre nourriture.
Zacharie, le médecin que le gaon avait recommandé, arriva sans tarder à la résidence des missi. Il examina longuement le malade qu'il trouva dans un état très préoccupant : il était la proie d'une fièvre provoquée par des humeurs qui, depuis les fosses nasales, avaient gagné et empoisonné la gorge et les poumons. Pour le sauver, un traitement très énergique devait être appli≠qué, de nuit comme de jour. Il était arrivé avec un aide portant un coffret contenant des substances médica≠menteuses. Il en sortit des poudres, des onguents et des plantes à utiliser pour des inhalations, en indiquant à l'intendant Frébaud et à la domestique qui l'accompa≠gnait comment s'en servir. Il osait espérer une amélio≠ration dans la semaine. Il se proposait de revenir dès le lendemain pour constater les premiers effets de ses prescriptions.
Agnès, qui pour autant n'avait pas abandonné sa médication, s'assigna comme t‚che de veiller elle-même à une stricte application des soins envisagés.
Elle resta des heures au chevet d'Erwin, qu'une forte fièvre continuait d'accabler en provoquant des torpeurs angoissantes, pour éponger la sueur de son front et de son visage, lui faire avaler quelques gouttes des potions préparées et surveiller la façon dont les ser≠vantes appliquaient l'ordonnance de Zacharie et utili≠saient ses propres remèdes. A peine se reposait-elle deux ou trois heures en mangeant une collation frugale avant de reprendre sa garde.
Le Saxon demeura trois longues journées entre la vie et la mort, trois journées que tous vécurent dans l'angoisse, avant que sa robuste constitution ne reprenne le dessus. Le cinquième jour enfin, quand, à
l'aube, après un court sommeil, Agnès entra dans sa cellule, elle comprit qu'il était sauvé : son visage était plus frais, sa respiration moins haletante, son regard plus vif; son élocution était redevenue normale. Il était hors de danger, elle en fut heureuse et s'étonna de l'être autant. "
Je devais pourtant m'en douter depuis longtemps ", s'avoua-t-elle, furieuse contre elle-même. Erwin fut intrigué par son étrange attitude faite à la fois de soulagement et d'irritation.
quand je t'ai demandé de participer à cette mis≠
sion, lui dit-il, je ne m'attendais certainement pas que ce soit comme garde-malade. Bien que j'aie souvent perdu conscience ces jours-ci et beaucoup déliré, je le crains, je n!ai pu manquer cependant de constater avec quel zèle tu as veillé sur ma vie - l'expression n'est pas trop forte, je crois -, car l'atteinte, je m'en rends compte à présent, était grave à l'extrême.
Elle l'était assurément. Mais si ma présence a pu t'encourager à terrasser le mal, je devrais m'estimer récompensée.
Je ne puis dire si cette présence...
Erwin s'interrompit et jeta sur la jeune femme un regard qui exprimait son trouble.
-
Pourquoi faut-il, Agnès, qu'elle m'ait été,
qu'elle me soit si précieuse ?
-
Pourquoi? Mais parce qu'il en est ainsi et que nous sommes les jouets de nos destins ! Crois-tu que, de mon côté, j'aurais jamais pu imaginer que je porte≠
rais autant d'intérêt à un abbé saxon, au missus dominicus d'un empereur franc, qui plus est à l'homme qui a brisé naguère en Brenne le rêve aquitain et, pire, à
celui qui a sur la conscience la mort de mon compa≠
gnon, père de mon enfant ! s'écria-t-elle sur un ton pas≠
sionné. Alors, si l'attention que je suscite en toi te trouble et t'inquiète parce qu'elle est contraire à tes engagements sacrés, que devrais-je dire, moi, de celle que tu as éveillée en moi !
Elle s'interrompit, pensive.
Et pourtant je ne peux rien, rien du
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