Les noyés du grau de Narbonne: une enquête d'Erwin le Saxon
s'était guère sou≠
cié de l'enquête en cours. Ses assistants n'étaient pas parvenus davantage à s'y intéresser. Sans cesse ils interrogeaient Agnès sur l'évolution de la maladie, pra≠
tiquaient des mortifications et priaient avec ferveur pour implorer la gr‚ce divine en faveur de leur sei≠
gneur.
Le témoignage de Lucien imposait que Foucaud, son épouse Clémence et, d'autre part, Octavien soient de nouveau entendus, que Fabian, qui ne l'avait pas encore été, soit interrogé. Il soulevait de plus une ques≠tion fort délicate : les missi dominici, à ce stade de leur enquête, devaient-ils faire connaître à l'archevêque Nebridius les accusations portées contre un des membres de son chapitre, l'archidiacre Barnabe, accusations qui n'étaient peut-être que des calomnies, avant de faire comparaître éventuellement ce dernier? Le Nibelung, par raison et aussi par superstition, avait décidé que les démarches à entreprendre ne seraient décidées et mises en úuvre qu'après le rétablissement de son ami.
Cette guérison tant espérée fut marquée par un festin auquel le Saxon, bien que convalescent et manquant encore d'appétit, s'efforça de faire honneur.
Plus que les mets de choix préparés par Frébaud, ce qui apporta à Erwin le réconfort le plus précieux fut la joie, expri≠mant soulagement, affection et espérance, qu'il put lire dans le regard de Childebrand et de tous ceux qui parti≠cipèrent à ces agapes. Ils étaient là, autour de lui, comme un rempart de l'amitié, celle attentive et fidèle du Nibelung, celle dévouée et respectueuse des autres membres de la mission. Une telle amitié avait-elle pu peser sur la décision du Très-Haut pour l'inciter à dif≠férer le moment o˘ l'abbé aurait à affronter son terrible jugement? C'est avec cette pensée audacieuse en tête qu'il prononça, à la fin du banquet, une prière d'action de gr‚ces que tous reprirent avec une intense ferveur.
Lorsque Octavien entra dans la salle de réception, il se trouva en présence des missionnaires du souverain, assis derrière une table sur laquelle avaient été dispo≠sés des beignets au miel, des gobelets ainsi qu'un fla≠con de vin des sables. Ils l'invitèrent, avec un sourire de bienvenue mais sans se lever pour l'accueillir, à prendre place en face d'eux.
Nous te savons gré d'avoir répondu si diligem≠
ment à notre invitation, lui déclara le comte Childe≠
brand. Nous sommes, l'abbé Erwin et moi-même, très préoccupés par la situation trouble qu'ont engendrée dans cette ville et dans tout ce pays ces crimes dont nous nous efforçons de mettre au jour, et au plus vite, les auteurs et les raisons. Comme nous, tu estimeras sans nul doute indispensable de compléter, à la lumière des tragédies qui ont suivi la mort affreuse de ta belle-fille, le témoignage que tu as déjà apporté.
Si je puis de la sorte aider votre justice, j'en serai fort heureux, répondit Octavien.
Erwin se caressa le menton avec un air pensif avant de placer :
-
En vérité, des rumeurs étranges concernant la naissance de Laetitia sont parvenues jusqu'à nous...
Le Saxon fixa son vis-à-vis.
-
... et jusqu'à toi peut-être?
Octavien n'essaya pas de jouer la surprise. Il courba la tête, avec un air consterné, puis, la relevant, il reconnut : Oui, jusqu'à moi, hélas! D'abord j'ai refusé de les croire, mais je me suis rendu à l'évidence et, à
présent...
Est-ce à dire que ce secret, si lourd de consé≠
quences, a été, depuis peu seulement, porté à ta connaissance, que rien n'était venu depuis le mariage de ton fils ébranler ta confiance ?
Mais comment aurais-je pu soupçonner que Lae≠
titia, qui avait vécu dans la demeure de Foucaud depuis les premiers jours de sa vie et qui le considérait comme son père, n'était pas sa fille? Pour quelle raison aurais-je douté de cette filiation?
Soit, ponctua l'abbé, et venons à ceci : quand as-tu appris la vérité?
Octavien secoua la tête.
-
Ah, quel cauchemar! murmura-t-il.
Et qui t'a mis au courant?
Laetitia elle-même !
quoi? Laetitia et non ton fils? s'écria Childebrand.
Je vous le répète : c'est Laetitia, qui, elle-même, n'avait appris le secret de sa naissance que récem≠
ment!
T'a-t-elle indiqué le nom de la personne qui
l'avait mise au courant?
Elle s'y est refusée, je ne sais pas pourquoi.
Elle n'a pu manquer cependant de te faire savoir de qui elle était en réalité la
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