Les noyés du grau de Narbonne: une enquête d'Erwin le Saxon

il suivait Jésus sur le chemin ".
    Le Saxon lut et relut ce verset et il ne manqua pas de méditer sur son sens sacré. Il ne put s'empêcher cepen≠dant d'en tirer une conclusion pour laquelle, se mettant à genoux, il implora l'indulgence du Très-Haut :
    " Ai-je le droit d'en appeler à Toi, ô Seigneur, pour m'aider à sauver cette créature qui s'est tenue et se maintient à l'écart de ton troupeau, continue, en son cúur, à être idol‚tre et pour laquelle, malgré moi, je br˚le d'un amour coupable? Et pourtant, en cet instant encore, j'ose te le demander! " II s'abîma alors en de longues prières.
    Moins d'une heure après avoir quitté son ami, Childebrand vint dans la cellule de l'abbé, qui avait poursuivi la lecture de l'…vangile, pour lui annoncer que Doremus, chargé de prévenir Foucaud et Fabian, était de retour. Ceux-ci, expliqua-t-il, n'avaient pas manqué de s'étonner que les missionnaires du souve≠rain aient estimé nécessaire de les entendre à
    nouveau, alors qu'ils avaient déjà abondamment témoigné et que leurs archives avaient été examinées.
    - Mais peut-être, avait placé Foucaud, cette invita≠tion impérative a-t-elle quelque rapport avec des recherches que certains assistants des missi dominici ont menées, en fin de soirée, près du port, à la suite, dit-on, de la disparition d'une dame faisant partie de la mission.
    L'ancien rebelle n'avait pas caché que cette supposi≠tion était fondée, indiquant que la réunion prévue avait en effet pour objet d'apporter une aide aux représen≠tants de l'empereur afin de retrouver cette dame saine et sauve.
    Le frère Antoine regagna l'hôtel de la mission peu de temps après Doremus.
    Il s'était rendu d'abord chez Catulle le Borgne qui s'était borné à
    indiquer qu'il se ferait un devoir d'apporter tous les secours dont il dis≠posait aux missionnaires du souverain. Au domicile de Geroul o˘ le moine était allé ensuite, celui-ci l'avait immédiatement questionné sur les incidents qui " avaient soulevé un vif émoi sur les quais " et provo≠qué "
    les rumeurs les plus fantaisistes ". Le frère Antoine profita d'une mise au point pour lancer les
    convocations prévues concernant le drapier et son fils Harbald.

    Dodon, lui, ne revint qu'à la mi-nuit de la villa d'Octavien, située à une lieue de Narbonne. Il y avait rencontré le seigneur du domaine et son fils Lucien alors qu'ils s'apprêtaient à gagner leurs chambres. C'est en prenant connaissance des motifs de la réunion à laquelle ils étaient priés de se rendre que les deux hommes apprirent la disparition d'Agnès. Cette nou≠velle les plongea dans une consternation et une inquié≠tude qui, selon Dodon, ne semblaient pas feintes. Lucien surtout s'était montré alarmé, exprimant la crainte qu'elle ne subisse le sort des " trois précédentes suppliciées " et que le pays ne continue à être troublé par des forfaits aussi horribles que l'assassinat, à Leu-cate, de ces malheureux pêcheurs.
    Je ne dormirai tranquille, avait-il proclamé, que lorsque les criminels auront été démasqués, appréhen≠
    dés, jugés et mis à mort.
    Voici un précieux secours, au moins verbal, apprécia le Saxon avec une ironie amère.
    Comme Doremus, sitôt sa mission accomplie auprès de Foucaud, était reparti pour Leucate afin de prévenir Aymeric et, d'autre part, Sabine, et n'en reviendrait sans doute que dans la matinée, et que Timothée ne pourrait pas être de retour de Lunas avant deux jours, Childebrand et Erwin décidèrent de prendre quelque repos. La journée à venir allait exiger un esprit lucide, du sang-froid et des initiatives décisives.
    Les recherches, recommencées à l'aube sur les quais et alentour, ne fournirent aucun renseignement précis et avéré, mais conduisirent cependant le comte et l'abbé à considérer comme possible qu'Agnès ait été capturée sur un bateau à bord duquel elle serait montée de son plein gré ! Les enquêteurs, en effet, n'avaient recueilli aucun témoignage faisant état de l'agression d'une femme dans une rue ou sur le port. Cette supposition se heurtait toutefois à une objection de taille : Agnès était au fait des dangers encourus par les aides des missi. Pourquoi, comment, aurait-elle pu alors prendre un tel risque?
    A défaut de pouvoir répondre à cette question, les enquêteurs cherchèrent à
    se renseigner sur les barges, barcasses et allèges ayant quitté le port dans la nuit et sur celles qui