Les Nus et les Morts
qu’il est en train de faire en ce moment, le gars de ta copine ? Je te dirai ce qu’il fait. C’est six heures du matin maintenant, en Amérique. Elle se réveille dans un plumard avec un gars qu’est capable de lui donner exactement la même rallonge que toi, et elle lui refile tout le sacré bataclan qu’elle te refilait à toi. Je te le dis, Minetta, y a pas une seule à qui on peut faire confiance. Tant qu’elles sont, elles nous trompent.
Polack . – Y a pas une de ces enculées qu’est honnête.
Minetta (faiblement). – Ben, je m’en fais pas.
Stanley . – C’est différent avec moi. J’ai un gosse.
Brown . – Celles qu’ont des gosses c’est les pires de toutes. C’est celles qui s’ennuient et qu’ont vraiment besoin de se payer de bon temps. Y a pas une femme qui vaut tripette.
Stanley (regardant sa montre). – C ’est notre tour de piocher. (Il saute dans le trou et s’empare d’une pelle.) Nom de Dieu, vous êtes une bande de tire-au-flanc. Pourquoi diable ne faites-vous pas votre part du boulot ? (Il pioche furieusement pendant une minute, puis s’arrête. Il transpire profusément.)
Polack (souriant). – Je suis content que j’ai pas à me faire de bile pour une de ces garces qui vous font cocu.
Minetta . – Eh, va te faire bousiller. T’as l’air de croire que t’es foutrement malin.
Après l’infructueuses tentative nocturne des Japonais en vue de traverser le cours d’eau, la première escouade demeura trois jours pleins sur ses anciennes positions. Au quatrième joui-, le premier bataillon s’était avancé d’un demi-mille, Reconnaissance quitta son emplacement avec la compagnie A. Leur nouvel avant-poste se trouvait sur la crête d’une colline qui surplombait une minuscule vallée couverte d’herbe kunaï. Ils passèrent le restant (le la semaine à creuser des trous, à planter du fil barbelé, et à faire des patrouilles. Le front était devenu quiet. Rien ne leur arriva de spécial, et à l’exception des hommes de la section de la compagnie A dont les positions se trouvaient sur une colline adjacente, à quelques centaines de mètres de là, ils ne virent personne. Les falaises de Watamaï étaient toujours sur leur droite, très proches, et tard dans les après-midi les escarpements de la montagne les dominaient de haut comme des vagues sur le point de se briser.
Les hommes passaient leurs journées assis au soleil sur la crête de la colline. Ils n’avaient rien à faire, sinon manger leurs rations et dormir et écrire des lettres et monter la garde dans leurs trous. Les matinées étaient plaisantes et fraîches, mais ils devenaient moroses et somnolents dans l’après-midi ; la nuit venue leur sommeil était inquiet, car le vent faisait bouger l’herbe dans la vallée en bas et on eût dit. qu’une colonne en marche s’avançait en direction de leur colline. Une ou deux fois par nuit l’homme de garde réveillait l’escouade tout entière, et ils restaient accroupis dans leurs trous pendant une heure et plus, fouillant du regard le paysage qui s’étalait à leurs pieds dans l’incertaine clarté de la lune.
Parfois le crépitement lointain d’une fusillade leur par venait, semblable à un feu de joie un jour d’automne, et souvent un ou deux obus dessinaient un arc paresseux au-dessus de leurs têtes avec un bruit de soupirs et de murmures, avant d’aller s’écraser dans la jungle, derrière leurs lignes. De nuit, l’écho des mitrailleuses était creux et profond, pareil à la note lugubre de quelque tambour primitif. Presque à tout moment ils pouvaient entendre des bruits qui rappelaient la grenade ou le mortier ou le tac tac aigu et insistant des mitraillettes ; mais c’étaient des bruits si lointains et si voilés, que les hommes finirent par n’y plus faire attention. La semaine s’écoula dans une vague et gênante tension qui leur venait de leur crainte muette de la chaîne de Watamaï, dont la muraille verticale se haussait sur leur droite.
Tous les jours une équipe de trois hommes grimpait péniblement la colline adjacente où bivouaquait la section de la compagnie A, pour s’en revenir avec une boîte de dix rations journalières et deux bidons de cinq litres d’eau chacun. C’étaient des voyages sans incidents, et les hommes ne les détestaient pas ; cela rompait la monotonie, et leur donnait l’occasion de parler avec quelqu’un qui ne faisait pas partie de leur propre escouade.
Le sixième jour.
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