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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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il les replaçait sur le velours vert qui revêtait l’intérieur de la boite. « Ceci est réellement mon jeu, Robert. Si j’ai une passion, c’est bien les échecs. »
    Que lui voulait-il au juste ? Hearn se sentit tout à coup excédé. Leur discussion, cette partie, paraissaient venir de quelque désir inexorable qui se dérobait sous les traits impassibles du général. Une inexplicable humeur s’empara de lui, ravivant son sentiment d’oppression. On eût dit que l’air, sous la tente, s’était alourdi.
    « Les échecs, prononça Cummings, sont inépuisables. En vérité, là vie même s’y trouve concentrée. »
    La maussaderie d’Hearn allait croissant. « Je ne le pense pas », dit-il, écoutant avec une trace de dégoût l’accent de sa voix claire et tranchante. « ce qui m’avait intrigué dans les échecs, et ce qui a fini par m’ennuyer, c’est que rien n’est plus étranger à la vie que ce jeu.
    – Que pensez-vous qu’est la guerre, essentiellement ? »
    Voilà que cela recommençait. Hearn était conscient que le général le manœuvrait, et il voulait éviter la discussion. Le temps d’une seconde, il eut envie de frapper le général, de voir s’emmêler ses cheveux gris et le sang couler de sa bouche. L’impulsion fut puissante et momentanée, et de nouveau il se sentit excédé. « Je ne sais pas, mais la guerre n’est certainement pas un jeu d’échecs. Vous pourriez le comparer à la flotte, où tout est manœuvre sur des étendues plates et ouvertes avec des unités de feu différentes, où tout est Force, Espace et Temps, mais la guerre est comme une maudite partie de football. Vous recommencez votre jeu, et cela ne finit jamais comme vous vous y attendez.
    – C’est plus compliqué, mais cela revient au même. »
    Hearn se frappa la cuisse avec une soudaine exaspération. « Par Dieu, il vous reste bien des pages à lire pour connaître le fond de l’histoire. Prenez une escouade, une compagnie – et que diable savez-vous de ce qui se passe derrière leur tête ? Je me demande parfois comment vous pouvez prendre la responsabilité de leur faire faire ceci ou cela. Est-ce que cela ne vous affole jamais ?
    – C’est là que vous vous trompez toujours de marchepied, Robert. Dans l’armée, le concept de la personnalité, de l’individualité, n’est qu’un obstacle. Bien sûr, dans toute unité particulière il y a des différences entre les hommes ; mais elles s’annulent les unes les autres, et ce qui vous reste c’est une moyenne. Une compagnie est bonne ou médiocre, elle est propre ou impropre à telle ou telle mission. Je me sers de techniques plus grossières, du dénominateur commun.
    – Vous êtes diablement haut perché, que vous n’y voyez goutte. Le facteur moral est trop compliqué, pour que vous puissiez jamais prendre une décision décente.
    – Pourtant, vos décisions vous les prenez, et vous les faites exécuter. »
    Il y avait quelque chose de malpropre à continuer cette conversation, alors qu’au front, dans quelque trou, les hommes étaient raides de terreur. La voix de Hearn se lit un peu stridente, comme s’il avait eu communication de cette terreur. « Comment vous y prenez-vous ? Parmi vos hommes il y en a qui n’ont pas vu l’Amérique depuis un an et demi. Comment faites-vous pour calculer s’il est préférable que tant d’entré eux périssent et que les sur vivants s’en retournent plus tôt chez eux, ou s’il est préférable que tous restent ici et s’en aillent à vau-l’eau pendant que leurs femmes les trompent ? Quelle est votre arithmétique pour ce genre de choses ?
    – Ma réponse c’est que je ne me préoccupe pas de ce genre de choses. » Il s’égratigna de nouveau le menton avec la pointe de son ongle, puis ajouta, après une brève hésitation : « Qu’avez-vous, Hearn ? Je ne savais pas que vous étiez marié.
    – Je ne suis pas marié.
    – Votre maîtresse vous a plaqué ?
    – Non, je n’ai rien laissé traîner derrière moi.
    – Alors pourquoi tout ce souci à propos de la « tromperie » des femmes ? Il est dans leur nature d’être infidèles. »
    Un peu surpris par sa propre audace, Hearn sourit avec une soudaine désinvolture. « Qu’y a-t-il, mon général ? Vous parlez d’expérience ? » Il se souvint tout aussitôt que le général était marié, renseignement de seconde main apparemment, dû à quelque officier, car Cummings n’avait

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