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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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sans peine l’expression de souffrance qui avait dû se dessiner sur la bouché du cadavre. Mais ce mort n’avait pas de tête, et Red éprouva une sourde douleur à la pensée qu’il ne verrait jamais le visage de cet homme. Un caillot sanguinolent terminait son cou, et il semblait reposer dans un cadre fait de silence.
    Tout à coup Red se rendit compte qu’il était sobre et très las. Les autres l’avaient déjà devancé d’un bon bout de Chemin, mais retenu par une émotion qu’il eût été incapable d’exprimer, il continuait à regarder le corps décapité. Alors que l’idée de sa propre mort lui semblait un peu incroyable, tout au fond de lui-même il se disait que l’homme" couché là avait aussi désiré nombre de choses. Il avait eu une enfance, une adolescence, il avait atteint l’âge d’homme – avec ses rêves et ses souvenirs. Comme s’il voyait un cadavre pour la première fois, il songea avec surprise et saisissement qu’un homme était un objet réellement très fragile.
    La puanteur de la grotte emplissait encore ses narines, et le cadavre lui inspirait une horreur pareille à celle qu’il ressentit un jour quand, dans un pré, il dut marcher dans un amas de laces humaines. Il y eut quelque chose d’étrangement satisfait dans ces faces, une espèce de je-me-suffis-à-moi-même, qui se voyait aussi dans ce tronc et ces membres. Encore qu’il sût que le sol allait bientôt aspirer et résorber la fétidité qui se dégageait de la dépouille, l’horrible pestilence lui causait de profonds sursauts d’angoisses. Le souvenir de l’odeur dans la grotte se combinait avec cette odeur-ci, et le terrorisait. Il passait par toute la gamme des fragrances, depuis les tièdes exhalaisons d’un commencement de corruption jusqu’au cœur même de la puanteur cadavérique – une âpre, nauséabonde haleine qui l’empoignait comme une main glacée ; odeur de cercueil dont il eût soulevé le couvercle, et elle le pénétrait, elle se maintenait en lui pendant qu’il regardait le corps sans le voir, sans y penser, tandis que dans sa tête des images se chevauchaient de vie et de mort et de sa propre vulnérabilité.
    Puis tout se résorba et il se remit en marche, laissant errer ses yeux sur le fouillis qui s’étalait des deux côtés du chemin. La puanteur continuait à l’oppresser. « Tout comme deux colonnes de fourmis qui s’entre-tueraient », pensa-t-il. Il rejoignit les hommes, trottant avec eux à travers les palmeraies et le long de la piste, l’esprit maussade. Ils ne parlaient guère, cuvant leur alcool. Red avait mal à la tète. Il trébucha contre une racine, jura, et, sans transition aucune, il grommela : « Sûr et certain que l’homme il a rien de spécial, s’il pue comme ça quand il est mort. »
    De retour au deuxième bataillon, Wyman s’amusa à torturer un insecte. Il avait piqué une brindille dans le corps, long et poilu, d’une chenille colorée noir et or. La bestiole se mit à courir en rond, puis s’affala sur le dos, faisant des efforts éperdus pour se remettre sur ses pattes. Wyman la toucha avec le bout rougeoyant de sa cigarette, et elle se tortilla, se recroquevilla en forme de L, et resta prostrée, tandis que ses pattes se débattaient faiblement. On eût dit qu’elle essayait désespérément de respirer.
    Ridges avait observé la scène avec déplaisir. Un air de menace ridait son visage long et trapu. « C’est point une manière de traiter un insecte », dit-il.
    Wyman était absorbé par les convulsions de la chenille, honteux. « Qu’est-ce que tu veux dire, Ridges ? C’est-il si important, un insecte ?
    – Crotte, soupira Ridges. Il t’a point fait de mal. S’occupait de ses affaires, lui. »
    Wyman se tourna vers Goldstein. « Voilà le prédicateur qui s’excite à cause d’un insecte. » Il rit sarcastiquement, puis ajouta : « Tuer une créature de Dieu, pas ? »
    Goldstein haussa les épaules. « Chacun son point de vue », dit-il doucement.
    Ridges baissa la tête d’un air obstiné. « Je dis point que c’est pas facile de se moquer d’un homme qui croit dans la parole de Dieu.
    – Te manges de la viande, non ? » demanda Wyman. Il était content d’avoir le dessus, car il se sentait d’habitude inférieur à la plupart des hommes de l’escouade. « Où c’est-il dit, nom de Dieu, que te peux manger la viande mais que te peux pas tuer un insecte ?
    – La viande c est pas

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