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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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sac de fèves. Une de ses jambes était coincée dans le pare-brise, et l’autre, sectionnée à mi-cuisse, faisait un angle droit avec sa tête. On eût dit qu’elle’avait une existence à part.
    A un pas de là un autre Japonais gisait sur son dos. Un grand trou ouvrait son ventre, et ses entrailles se pressaient dehors en une grappe épaisse, pareille aux pétales congestionnés d’une fleur marine. La chair de son abdomen était très rouge et, dans les affres de la mort, ses mains s’étaient jointes au-dessus de la blessure comme s’il avait voulu y attirer l’attention. Il avait un visage plaisant, impersonnel, aux traits menus, et il paraissait calme. Ses jambes et sa croupe ayant gonflé, son pantalon était détiré au point de ressembler à la culotte collante d’un dandy au temps de Napoléon. Il avait l’air d’une poupée qui perd son crin.
    Faisant angle avec lui gisait un troisième soldat. Il portait une terrible blessure à la poitrine. Le feu avait attaqué ses cuisses et son torse lors de sa fuite de l’autochenille. Il était couché sur le dos, les jambes écartées et les genoux pliés. Le feu ayant consumé son uniforme, on lui voyait les parties. Elles étaient réduites à l’état de filaments, mais la cendre de ses poils tenait encore en place, semblable à une éponge en paille de fer.
    Wilson fureta autour des cadavres, puis laissa entendre un soupir. « L’ont déjà été dépouillés de tous leurs souvenirs », dit-il.
    Gallagher vacillait sur ses jambes. « Qui ? Qui foutre l’a fait ? Wilson, t’es un salaud de menteur. C’est toi qu’as volé tous les souvenirs. »
    Wilson l’ignora. « Tout ce que je peux dire c’est que c’est une honte quand des gars comme nous on a risqué notre cul toute une nom de Dieu de semaine, et qu’y a même pas de souvenirs. » Sa voix devint amère. « Une honte, nom de Dieu. »
    Martinez poussa du pied les parties du cadavre carbonisé, et elles s’affaissèrent avec un petit bruissement – comme s’il avait mis son doigt dans la cendre d’un cigare. Il en éprouva une trace de plaisir, aussitôt noyé dans la tristesse. L’alcool l’avait abattu, et la marche ajouta à son découragement. Les cadavres ne lui inspiraient ni horreur, ni crainte ; sa terreur du trépas était étrangère à la puanteur et aux formes cruelles que les corps se donnaient dans la mort. Il n’aurait pas su dire pourquoi il était triste, mais il lui fallait imputer sa tristesse à quelque chose. Il regrettait l’argent dépensé pour le whisky, et depuis une demi-heure il s’efforçait de calculer le temps qu’il lui faudrait pour remplacer la dépense avec le produit de sa solde.
    Red s’appuya contre l’autochenille. Il avait le vertige, et il allongea le bras pour se retenir au montant de la benne. Sa main se referma sur un fruit charnu, qu’il rejeta avec hâte. Le fruit était rouge, il avait la forme d’une poire, et Red n’avait jamais rien vu de semblable. « D’où ça vient, ça ? demanda-t-il d’une voix enrouée.
    – C’est de la boustifaille japonaise, dit Wilson.
    – Où qu’ils pèchent ça ?
    – Je sais pas », lit Wilson, haussant les épaules. Il fit voler le fruit d’un coup de pied. Une pointe de peur traversa l’ivresse de Red. Pendant une seconde il pensa à Hennessey. « Ben, Wilson, où c’est qu’ils sont, ces foutus souvenirs ? demanda-t-il.
    – Faut que me suivez, les gars », dit Wilson.
    Ils laissèrent les deux machines, pour se livrer à une petite exploration en marge du chemin, du côté du talus où les Japonais s’étaient retranchés. L’artillerie avait défoncé la plupart des boyaux et des abris blindés qui sillonnaient la butte. Les remparts de terre étaient à moitié démolis, comme des constructions de sable sur une plage qui s’écroulent sous le pied des baigneurs. Des cadavres jonchaient la place, vingt à trente hommes éparpillés par groupes de deux ou de trois ou de quatre. Des milliers d’éclats de maçonnerie couvraient le talus, d’où une intense odeur se dégageait d’ordures qui brûlent. Des provisions de bouche y moisissaient, des caissons d’équipement déversaient leur contenu, des sacs béaient, la rouille attaquait les fusils, et par toute la butte dévastée se voyait un fouillis de chaussures et de bidons et de morceaux de chair en putréfaction. Mille débris s’éparpillaient sur la place en un désordre chaotique. Morts depuis

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