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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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une expression de mépris définitif, mais, là derrière, ses yeux étaient paisibles, des yeux fatigués, d’un bleu plutôt émouvant, pris dans un filet de rides et de taches de rousseur.
    L’horizon est toujours bas. Jamais il ne se hausse au-dessus des collines qui entourent la ville, jamais il ne surplombe le sommet des puits de la mine ni les vieilles maisons de bois vermoulu où vivent les mineurs. Les collines du Montana, d’un brun pâle, dominent la vallée. Tu dois comprendre que tout appartient à la Compagnie. Il y a longtemps de cela elle avait tracé les chemins qui mènent dans la vallée, elle avait creusé les puits, assemblé les maisons pour les mineurs, monté des magasins d’approvisionnement, bâti une église. Depuis lors la ville est une auge. La paie sort des puits et va s’échouer dans la huche de la compagnie. Quand on a bu dans les cabarets de la compagnie, dépensé pour la nourriture et les vêtements, payé le loyer, rien ne reste du salaire reçu. Tous les horizons aboutissent à l’ascenseur de la mine.
    Et cela, Red l’apprend très tôt. Que lui reste-t-il d’autre à apprendre, une fois que son père a été tué dans une explosion à la mine ? Certaines choses sont immuables, et l’une d’elles c’est que dans la ville de la Compagnie, quand un mineur a été tué, le fils aîné de celui-ci devient le soutien de la famille. En 1925, quand Red est âgé de treize ans, d’autres fils de mineurs, plus jeunes que lui, travaillent eux aussi à la mine. Les mineurs haussent les épaules. Il est l’aîné de la famille, et cela suffit.
    A quatorze ans il est capable de manier une foreuse. Bonne paie pour un petit gars ; mais, tout au fond du puits, à l’extrême pointe du tunnel, la place manque pour se tenir debout. Même un garçonnet doit y travailler à croupetons, les pieds pris dans le minerai qui a débordé le trop plein des wagonnets. Il y fait chaud bien entendu, et humide, et la lumière fixée sur les casques des mineurs se perd bien vite dans le noir des galeries. Le corps de la foreuse, extrêmement pesante, porte sur la poitrine du garçonnet, et quand la mèche vibre sur la rocaille il doit serrer de toutes ses forces les anses de l’appareil..
    Quand le trou est percé on le bourre d’explosifs, et les mineurs se retirent derrière une courbe dans les galeries pour faire partir la dynamite. Après l’explosion on enfourne le minerai sur de petits wagonnets que l’on emmène à mesure, et que l’on arrête çà et là pour débarrasser la voie des débris qui s’y sont accumulés. Puis l’on revient avec des wagonnets vides, et l’on continue à charger. Red travaille dix heures par jour, six jours par semaine. En hiver, il peut voir le ciel le dimanche.
    Puberté dans le poussier de charbon.
    Le soir, vers la fin du printemps, il va s’asseoir avec sa bonne amie dans un petit parc, au bout d’une rue de la Compagnie. La ville finit derrière eux, et les collines, brunes et nues, plus profondes dans le crépuscule, s’éloignent vers l’ouest. Longtemps après qu’il a fait sombre dans la vallée ils peuvent encore apercevoir les dernières striures du couchant par-delà les sommets.
    Belle vue, murmure la jeune fille.
    Au diable. Je m’en vais d’ici. Red a dix-huit ans.
    Je me demande toujours ce qu’il y a de l’autre côté des collines, dit paisiblement la jeune fille.
    Il visse sa chaussure dans l’herbe avare du parc. J’ai des démangeaisons aux pieds, je suis comme l’a été mon vieux, l’a été plein d’idées, avait des tas de livres mais ma mère les a vendus. En voilà une femme.
    Comment peux-tu t’en aller, Red ? Elle a besoin de ta paie.
    Ecoute, quand le temps viendra je ramasse mes jambes et je m’en vas. Un homme qui doit rien à personne, il faut qu’il s’en va. (Regardant dans le noir. Déjà, en lui, l’impatience profonde, la colère, et l’autre chose, la dissolution du couchant par-delà le cercle des collines.) T’es une brave fille, Agnès. (Sentiment d’une perte peu grave, plaisante sensation d’auto-apitoiement à l’idée de la quitter.) Mais je te promets, je vas pas vivre l’espèce de vie que mon vieux il a menée. Je vas pas me crever la peau dans la mine.
    Tu feras un tas de choses, Red.
    Sûr. (Il aspire l’air sucré de la nuit et il sent l’odeur de la terre. La certitude de la force, le mépris à l’endroit des collines environnantes.) Tu sais, je te dirai quelque chose,

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