Les Nus et les Morts
je jure que j’étais prêt. »
Martinez fit entendre une plainte : « Je rendre les dents, je promettre je rendre les dents. »
Wyman rêvait qu’il faisait partir le canon antitank, et il disait : « C’était vraiment pas ma faute, c’est Goldstein qu’a lâché. » Il se sentait coupable, mais, à l’instant du se réveiller, il avait tout oublié de son rêve.
Couché sur son ventre, Red pensait que le soldat à In baïonnette lui tirait dessus. « Vas-y fils de garce, vas-y », marmottait-il.
Gallagher pensait : « Ils vont m’avoir moi. »
Et Croft vécut un instant de peur qui le paralysa et le cloua pieds et poings liés à sa mitrailleuse, alors que les Japonais chargeaient à travers la rivière. La seconde rafale brisa ses liens et il hurla : « Venez me chercher ! » La sueur couvrit son visage, et il se trouva rampant vers le trou de Wilson. « Reconnaissance debout ! debout en ligne ! » mugissait-il. Il était toujours incertain si tout cela ne se passait point sur les bords de la rivière.
Wilson lâcha une nouvelle rafale, et Croft se rendit compte qu’il ne s’agissait pas d’un feu japonais. Il comprit, dans le même instant, qu’ils se trouvaient au bivouac du deuxième bataillon, loin de la rivière. Il se laissa tomber dans le trou de Wilson, lui secoua le bras. « Sur quoi tires-tu ? » Ce ne fut qu’alors qu’il se réveilla tout à fait.
« Je l’ai eu, fît Wilson. Je l’ai descendu, le fils de pute.
– Qui ? chuchota Croft.
– – Le buisson. » Il pointa son doigt. « Là-bas. J’y voyais pas clair. Ça me rendait tout dingo. »
Les hommes rampaient furtivement vers le trou de Wilson. « T’as pas entendu des Japonais ? demanda Croft.
– Foutre non, dit Wilson. Je me serais pas servi de la mitrailleuse, si que j’avais vu un Japonais. J’aurais pris le flingot. Te voudrais pas que je fais repérer la position à cause d’un pouilleux de Japonais ? »
Croft s’efforça de contenir un violent accès de rage. Encore que Wilson fût bien plus fopt que lui, il l’empoigna aux épaules et le secoua. « Je jure, je jure, fit-il d’une voix enrouée, si jamais tu me joues un autre tour comme ça, Wilson, je te tue de mes propres mains, je te… » Il se tut, tremblant de violence contenue. « Retournez à vos places, cria-t-il à l’adresse des hommes qui s’approchaient en rampant. C’a été une fausse alerte.
– Qui a tiré ? chuchota quelqu’un.
– Retournez à vos places ! » commanda Croft.
Il revint à Wilson. « De tous les sales coups que t’as jamais joués… A partir de maintenant t’es sur ma liste d’emmerdeurs. » Il sortit du trou et regagna ses couvertures. Il pouvait encore sentir ses mains, agitées de tremblements.
Wilson était ahuri. Il se rappelait la belle humeur de Croft au cours de l’après-midi, et son accès soudain de rage lui restait incompréhensible. « Est-ce qu’y avait de quoi se mettre tellement en boule ? » se demandait-il. Il rit – puis se souvint comment Croft l’avait secoué, et cela le mit en colère. « Ç’a pas d’importance combien de temps que je le connais, se dit-il, il a pas le droit de me traiter comme ça. La prochaine fois qu’il me fait quelque chose comme ça, je lui flanque une tournée. » Il regarda hargneusement à travers les barbelés. Maintenant que l’arbrisseau était cisaillé à ras de terre, il pouvait embrasser une large échappée de terrain. « J’aurais dû faire ça y a longtemps », se dit-il. Il se sentait très vexé par la sortie de Croft. A cause d’une petite rafale de mitraille de rien du tout. Il se rendit compte soudainement que le bivouac tout entier était vraisemblablement réveillé, et que tous écoutaient avec appréhension. « Quand je suis soûl, c’est alors que je me flanque dans le pétrin… » pensa-t-il en se mettant à pouffer.
Le lendemain matin Croft et ses hommes retournèrent au bivouac de la compagnie d’état-major. Leur absence avait duré sept jours et huit nuits.
LA MACHINE A FAIRE LE TEMPS
RED VALSEN, LE MENESTREL ERRANT
Tout en lui était osseux et noueux. II avait plus de six pieds de haut, mais il ne pesait pas ses cent cinquante livres. Vu en silhouette, son profil consistait presque entièrement en une large tache en forme de liez et eu une longue mâchoire bas pendue. Cet ensemble lui donnait un visage qui semblait bouilli et toujours en colère. Il affichait
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