Les Nus et les Morts
train. On n’y est pas mal du tout.
Jésus, c’est samedi soir, dit l’autre trimardeur.
Oui.
Le samedi soir, dans sa ville minière, il y a toujours un bal dans le sous-sol de l’église. Des nappes à carreaux recouvrent les tables rondes, i\ chaque famille sa table, les mineurs avec leurs grands fils, les femmes et les filles et les grands-parents et les mioches. Il y a même des bébés qui somnolent en bavant sur le téton de leur mère.
Provincial.
Seulement, il y pue. Les mineurs apportent leur bouteille, se laissent aller à de maussades beuveries – hommes exténués par une semaine de travail. Vers minuit, ils se prennent de querelle avec leurs femmes. Aussi loin qu’il se souvienne il voit son père qui maudit sa mère alors que l’orchestre de la Compagnie – violon, guitare et piano : – piaule un quadrille ou une polka.
Se saouler, un samedi soir, sur le plancher d’un wagon de marchandises, c’est toujours amusant pour un jeunot d’une ville minière. L’horizon s’étend sur un million de milles au-dessus des champs de maïs argentés.
Dans la jungle aux vagabonds, parmi les flaques, près des rails de chemin de fer à la lisière des villes, quelques cabanes éparpillées au milieu des mauvaises herbes. Les toits sont de tôle ondulée mangée de rouille, et dedans l’herbe pousse à travers le planchéiage. La plupart des hommes dorment dehors, à même le sol, et ils font leur toilette dans les lents et paresseux ruisseaux qui forment des marais autour des remblais. Le temps s’écoule avec le soleil ; les mouches sont vert or sur le fond gris et orange des dépotoirs d’ordures. Il y a quelques femmes dans le camp, et, de nuit, Red et d’autres leur tiennent compagnie. De jour on traînaille par la ville, on fouille les boîtes à ordures, on essaie de taper le monde d’un repas. Mais, la plupart du temps, on reste assis à l’ombre, on regarde passer les trains et on cause.
Je le sais par Joe qu’ils vont nous foutre bientôt à la porte.
Les fils de pute.
Va y avoir une révolution les gars, moi je vous dis qu’il faut faire une marche sur Washington. Hoover vous fera cavaler. Tu te fous le doigt dans l’œil, ou quoi ?
Je peux nous voir marcher – « J’aime Une Parade, Le Bruit Du Tambour. »
Dites donc les gars, j’y ai vu de mes yeux vu depuis que ç’a commencé, c’est ces foutres de Juifs, ces enculés e Juifs internationaux.
Dis, te sais pas ce que te racontes, ce qu’on veut c’est l’action révolutionnaire, on est des exploités. Faut que t’attends la dictature du prolétariat.
Qu’est-ce que t’es, un communiste ? Ecoute, moi j’étais établi à mon compte, j’étais une grosse huile dans mon bled, j’avais du peze à la banque, je marchais sur mes propres pattes mais y a eu une conspiration.
C’est les gros bonnets, z’ont la trouille de nous autres. « Je Serais Joyeux Quand Vous Serez Enterrés, Vous Les Canailles. Vous. » Tu crois que ces chansons ça veut rien dire ? C’est la strophe que tout le monde se rappelle.
Red est assis parmi eux, il somnole. (Ils sont pleins de merde. Etre fort en gueule ne coûte rien. Ce qu’il faut c’est pas rester en place, et la fermer.)
Te crois que je suis un communiste. J’étudie la nature humaine, moi, je suis un qui s’est éduqué tout seul. Aspirations américaines, voilà ce qu’ils sont ces chants, opium – pour les masses, foutaises pour embobiner le bonhomme. Dis… c’est une passion pour le mouvement, c’est pour nous refaire qu’on reste chez soi et qu’on nous exploite.
Aaaah.
Ils vont nous foutre dehors, les gars.
Je m’en vas de toute manière, dit Red. J’ai les pieds qui me démangent.
Il semble bien que, d’une façon ou d’une autre, on ne coule jamais tout à fait ; il y a toujours quelque repas providentiel, ou la paire de chaussures qu’on peut s’acheter quand celles qu’on a aux pieds s’en vont en morceaux.
D’une façon ou d’une autre on décroche toujours un petit boulot, une assiette de soupe pour se réchauffer, ou bien il y a une nouvelle ville où aller, et même, une fois tous les mois ou tous les deux mois, l’agréable sensation de sauter dans un train de marchandises, à l’aube, quand la terre sort de la nuit et quand on n’a pas trop faim.
Lorsqu’on jette une poignée de paille dans une rivière, il arrive que des brindilles surnagent même dans un rapide. Il y a toujours quelque chose qui vous maintient à
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