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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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longtemps que j’y suis, dans ce boulot (Collines brunes et nues, plus profondes dans le crépuscule. La nuit s’éloigne vers l’Ouest.) Où est La beauté que
    nous avons perdue dans notre jeunesse ?
    Il se lève, regarde par. la fenêtre. Jésus, je me sens vieux. A vingt-trois ans je suis un vieil homme. Plus tard il s’endort.
    Le matin, la sueur cuisante tourbillonne dans ses yeux et la vapeur fuse de la machine à laver la vaisselle. Avant d’y mettre les verres effaces-y le rouge à lèvres.
    Je crois que je vas me remettre en vadrouille. C’est pas bon de moisir dans une seule place. Mais, cette fois-ci, il y a moins d’espoir dans sa décision.
    Un banc de parc est vraiment trop court pour y dormir à l’aise. Si ses pieds pendillent par-dessus le bord, celui-ci lui cisaille les jarrets ; et s’il plie les genoux, il se réveille avec une crampe dans les cuisses. Un homme qui n’a que ses os ne peut pas dormir sur le côté. La blanche lui écorche les os du bassin et la raideur se met dans ses épaules. Il doit s’allonger sur le dos, les genoux au ciel, les mains sous la nuque. Quand il se relève, ses doigts restent engourdis pendant de longues minutes.
    Un choc qui se répand sous son crâne le réveille. Il s’assied d’un sursaut, aperçoit un agent de police qui brandit son bâton pour lui assener un autre coup sur la semelle des chaussures.
    Ça va, je file, vous fâchez pas.
    Tu devrais pourtant savoir que c’est défendu.
    A quatre heures du matin, dans la fausse aurore, les camions des laitiers avancent lentement par les rues silencieuses. Il observe un cheval qui mâche dans son sac à grains, puis il se dirige vers la voie ferrée. En attendant le matin il entre dans une gargote qui fait face à la toile noire des rails, et il avale une tasse de café et un pet de nonne. Pendant un long temps il regarde le plancher sale, le comptoir dé marbre blanc avec çà et là le cercle d’une tasse, les cloches de celluloïd qui protègent la pâtisserie. Il arrive un moment où il s’endort, le front appuyé sur le comptoir.
    Eh, y a trop longtemps que je bourlingue. C’est pas bon de moisir, et c’est pas bon de rouler sa bosse. Suffit qu’on se met en peine pour trouver, et on perd tout ce qu’on cherche.
    On dirait, au début, que c’est sa période de prospérité relative, puis que ça tourne en queue de comète, mais cela finit par n’être ni l’un ni l’autre. Il trouve du travail comme chauffeur de camion sur le parcours nocturne de Boston à New York, et il y reste deux ans. La route l’creuse un sillon dans sa cervelle. Boston à Providence à Groton à New London à New Haven à Stamford aux marchés de Bronx, et de retour la nuit d’après. Il a sa chambre dans la 48 e rue West, près de la Dixième Avenue, et s’il veut il peut mettre de l’argent de côté.
    Mais il hait le camion. C’est la mine au grand air, ça lui cogne le dos de mille petites secousses, ses reins s’en ressentent, et au matin son estomac est trop barbouillé pour qu’il puisse rien avaler. Peut-être y a-t-il eu un banc de parc de trop, peut-être a-t-il plu trop souvent dans trop de places où il a passé la nuit à la belle étoile, mais le camion sur les routes ne lui vaut rien. Pendant les derniers cent milles il conduit les dents serrées. Il hante les bars de la Neuvième et de la Dixième Avenue, boit sec, et parfois il passe son temps libre dans les cinémas de la 42" rue où l’on projette de vieux films qui regorgent de luxe criard.
    Une nuit, dans un bar, il achète pour dix dollars le livret maritime d’un ivrogne sur le point de s’écrouler, et il quitte son travail. Mais une semaine de vadrouille sur les quais épuise sa patience, et il se laisse aller à une longue beuverie. Au bout d’une autre semaine, ses économies étant dépensées, il vend le livret du matelot pour cinq dollars et passe un après-midi à ingurgiter le whisky que cet argent lui procure.
    Cette nuit-là il se réveille dans un passage, avec une croûte de sang sur la joue. Quand il grimace, il peut sentir la croûte qui s’écaille et se lézarde. Un agent de police le cueille et l’envoie à Bellevue, hôpital pour alcooliques, où on le garde deux jours. A sa sortie il se livre à la mendicité pendant deux semaines.
    Mais tout est bien qui finit bien. Il trouve finalement à s’embaucher comme plongeur dans un restaurant de luxe, du côté de la 60" rue East, se lie d’amitié avec une

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