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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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bien. »
    C’était possible. Il voyait son père qui rejetait d’un mouvement de la tête ses cheveux noirs et drus, qui d’une main charnue et moite assenait une claque sur le dos de Conn. « Et comment donc, fichtre ! pouvait-il l’entendre tonner. Ou bien vous mettez cartes sur table et on cause d’affaires, ou bien reconnaissez tout de suite que vous êtes un sacré fumiste. » Puis venaient le clignement de l’œil, le charme. « Et on peut alors s’acoquiner, ce qui est, nom de nom, exactement notre but. » Et pourtant non, Conn ne s’y prêtait pas, Conn ne cadrait pas du tout dans le décor.
    « J’ai vu sa photographie dans les journaux il y a un mois à peu près, disait Conn. Je me fais envoyer régulièrement une dizaine de journaux. Je vois qu’il s’empâte un peu, votre vieux.
    – Garde à peu près sa ligne, je suppose », dit Hearn. Son père avait été malade dans les trois dernières années, et son poids était devenu presque normal pour un homme de sa taille. Conn ne connaissait pas son père. Bien sûr que non. En trente-sept Conn n’était même pas adjudant. On ne quitte pas l’armée pour organiser des compagnies commerciales quand on est sergent. Il se rendit brusquement compte que Conn n’avait pas putassé avec les généraux Caldwell et Simmons à Washington. Oh ! peut-être avait-il pris un verre une fois avec eux, ou plus vraisemblablement il avait servi avant la guerre sous leurs ordres comme sous-off. Mais tout cela était pathétique, et un peu écœurant. Conn, le grand manipulateur. Même dans ce moment ses yeux aqueux à la paupière affaissée, sa panse, son nez moiré en pied de marmite, le regardaient avec une expression de sincérité. Sûr, il connaissait Will Hearn. Mis à la question, il serait mort en jurant qu’il le connaissait, croyant qu’il le connaissait.
    « Vous savez, quand vous reverrez Will Hearn dites-lui que vous m’avez vu, ou écrivez-lui, dites-lui ça. »
    Quel genre de travail s’était opéré dans la tête de Conn en vingt ans d’armée ? Et plus particulièrement dans les cinq dernières années, depuis qu’il faisait la planche avec des épaulettes d’officier ?
    Pif paf ! fit la carabine de Dalleson.
    « Je lui dirai. Pourquoi n’iriez-vous pas le surprendre ? Il serait content de vous voir.
    – Il se peut que je le fasse. J’aimerais bien le revoir comme qui dirait. On n’en fait pas de plus sociables, que votre père.
    – Sûr. » II se lit violence pour se priver du plaisir d’ajouter : « Peut-être vous embaucherait-il comme portier, pour chasser les intrus. »
    Il se leva. « Je vais faire trempette », annonça-t-il. Il prit la course, fendit l’eau avec netteté, piqua un plongeon, sentant son hilarité, son dégoût, sa fatigue s’en aller au contact délicieux de la vague froide sur son corps chaud. Il remonta à la surface, clapota joyeusement, se mit à nager. Les autres, sur la plage, se prélassaient toujours au soleil, jouaient au bridge, parlaient. Deux d’entre eux jouaient à la balle. Vue depuis l’eau, la jungle semblait presque charmante.
    L’artillerie tonna faiblement par-dessus l’horizon. Hearn plongea de nouveau, remonta avec lenteur. Le général avait dit une fois, savourant son épigramme : « La corruption-est le ciment qui empêche l’armée de se disloquer. » – Conn ? Cummings n’avait pas fabriqué son mot à l’intention de Conn, et cependant Conn était un produit de cette corruption.
    Soit, et c’était tout aussi vrai quant à lui, Hearn. Qu’était-ce donc, la corruption, sinon savoir où est la vertu, et v renoncer ? Très net, ya. Et comment est-ce que le général cadrait là-dedans ? Ceci était une plus grosse question, ceci était une question que l’on ne pouvait pas expédier en cinq_ secs. En tout cas, il allait se tenir à l’écart du générai. Cummings l’avait laissé tranquille, et il se promettait de lui rendre la politesse. Il prit pied, se redressa, secoua la tête pour dégager ses oreilles. Il faisait bon nager, rudement bon. Propre. Il piqua sous l’eau, remonta sous la poussée d’une brasse puissante, nagea parallèlement à la côte. Conn était probablement toujours en train de dégoiser, en train d’élaborer le mythe qui s’est fait homme.
    « Wakara, qu’est-ce que ça veut dire umareru ? » demanda Dove.
    Le lieutenant Wakara allongea ses maigres jambes et remua pensivement ses orteils. « Eh bien,

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