Les Nus et les Morts
Minetta l’observa avec calme qui lui enlevait son pansement. La coupure, entièrement guérie, laissait voir une ligne de chair rosâtre que le médecin badigeonna avec un antiseptique rouge. Il ne lui remit pas le pansement. Le cœur de Minetta battait rapidement. Il avait le sentiment que sa tête était creuse et instable.
Le son de sa voix le surprit. « Hé ! docteur, quand est-ce que je sors d’ici ?
– Quoi ? Qu’est-ce que c’est ?
– Je sais pas, je me suis réveillé ce matin. Où c’est que je suis ? » Il sourit d’un air hébété. « Je me rappelle que j’étais dans une autre tente avec ma jambe, et maintenant je suis ici. Qu’est-ce qui s’est passé ? »
Le médecin le regarda paisiblement. Minetta s’efforça de soutenir son regard ; mais, bien qu’il en eût, il sourit faiblement.
« Quel est votre nom ? demanda le médecin.
– Minetta. » Il donna son numéro matricule. « Je peux sortir aujourd’hui, docteur ?
– Oui. »
Minetta éprouva un mélange de soulagement et de déception. Le temps d’une seconde il regretta de ne s’être pas tu.
« Oh ! Minetta, j’aurai à vous parler quand vous serez habillé. » Il lui tourna le dos, puis ajouta par-dessus son épaule : « Et ne vous esquivez pas. C’est un ordre. Je veux vous parler.
– Oui, monsieur le major. » Il haussa les épaules. « Qu’est-ce qui lui prend ? » se demanda-t-il. Il jubilait un peu à la pensée d’avoir si bien mené sa barque. « Suffit de penser vite et tu te débrouilles à tous les coups. » Il mit ses vêtements, roulés en boule à la tête de son lit, se chaussa. Le soleil ne chauffait pas encore trop, et Minetta se sentait de belle humeur. « C’était pas pour moi, pensait il ; je suis pas fait pour rester à plat dos tout le temps. » Il regarda la couchette de l’homme qui venait de mourir, et il haussa les épaules pour surmonter un frisson d’angoisse. « On a de la chance à foutre le camp d’ici. » Il se souvint brusquement des patrouilles" de la veille, et cela le démoralisa. « J’espère qu’ils vont pas mettre la section sur la brèche. » Il se demandait s’il n’avait pas commis une erreur,
Après s’être habillé il se sentit affamé, et il gagna la tente qui abritait le mess de l’hôpital, où il plaida avec le cuisinier. « Tu voudras pas renvoyer en ligne un gars qu’a rien dans le bide, dis ? demanda-t-il.
– Ça va, ça va, prends-y quelque chose. » Minetta dévora les reliefs d’une omelette gommeuse faite d’œufs en poudre, et but un peu de café tiède qui restait au fond d’une bouilloire de cinquante litres. Le breuvage sentait fortement le chlore, et Minetta fit la grimace. « Autant boire de la teinture d’iode », pensa-t-il.
Il assena une tape dans le dos du cuisinier. « Merci, mon pote. Je voudrais qu’ils fricotent si bien que ça dans notre compagnie.
– Tu parles. »
Il s’en fut trouver le sergent en charge du magasin de l’hôpital, se fit remettre son fusil et son casque, puis gagna la tente du médecin. « Vous vouliez me vqir, docteur ? demanda-t-il.
– Oui. » Minetta s’assit sur une chaise pliante.
« Levez-vous ! fit le médecin, le regardant d’un œil froid.
– Monsieur le major ?
– Minetta, l’armée n’a que faire d’hommes comme vous. Cette farce que vous venez de jouer ne vaut pas bien cher.
– Je ne sais pas de quoi vous parlez, monsieur le major. » Un accent d’ironie jouait dans sa voix.
« En voilà assez ! dit le médecin d’un ton cassant. Je vous aurais fait passer en conseil de guerre si ça ne prenait pas trop longtemps, et si ça n’était pas précisément ce que vous cherchiez. »
Minetta se tut. Il se sentait rougir, se tenant là piqué raide et plein de rage. Il aurait voulu pouvoir le tuer.
« Répondez !
– Oui, monsieur le major !
–-Recommencez votre truc, et je verrai personnellement à ce que vous écopiez dix ans. J’envoie une note à votre PC pour qu’on vous mette de corvée pendant une semaine. »
Minetta s’efforça d’avoir un air dédaigneux. Il avala, et lui dit : « Pourquoi que vous me persécutez, monsieur le major ?
– Fermez-la ! »
Minetta lui lança un regard furibond. « C’est tout ce que vous voulez, docteur ? demanda-t-il.
– Sortez d’ici. Si jamais vous revenez, vous ferez bien d’avoir un trou dans le ventre. »
Minetta s’en fut à grands pas.
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