Les Nus et les Morts
crois que je vas me faire porter malade, Tu veux venir avec moi ?
– Je sais pas. J’ai jamais connu un toubib qu’a fait du bien à un homme.
– Je croyais savoir que t’étais malade.
– Vrai de vrai, Red, y a tous mes boyaux qui sont troués comme qui dira avec du plomb. Je peux même pas pisser un coup sans que ça me brûle.
– T’as besoin de glandes de singe. »
Wilson pouffa. « Sûr qu’y a quelque chose avec moi.
– Allons-y alors, que diable, suggéra Red.
– Eh, tu sais Red, si qu’ils peuvent pas voir avec leurs yeux ce que t’as, t’as jamais rien du tout. Ces salauds, tout ce qu’ils savent c’est te donner une purge ou de l’aspirine. Puis j’aime pas tirer au flanc. Je suis parfois un fils de garce, mais personne peut pas dire que je fais point ma part de boulot. »
Red alluma une cigarette, fermant les yeux, réprimant une grimace sous une poussée soudaine de douleur. Le spasme passé, il grommela : « Allez, viens, on carotte une journée. »
Wilson soupira. « Bon, ça va, mais ça me fait suer. »
Ils gagnèrent la tente de l’infirmerie où un scribe prit leurs noms, puis ils traversèrent le bivouac en direction de la tente-hôpital du régiment. Plusieurs hommes s’y tenaient debout, attendant d’être examinés ; une demi-douzaine d’autres, assis sur deux couchettes reléguées à l’une des extrémités de la tente, badigeonnaient avec un antiseptique rouge leurs pieds couverts de mucus. Un soldat examinait les patients.
« L’est foutrement lente, cette queue, se plaignit Wilson.
– Toutes les queues sont lentes, dit Red. Ils ramènent tout à un système. Fais la queue, fais la queue. Crois-moi, plus rien vaut la peine que tu le fais si que t’as à poireauter dans les queues.
– Quand on rentrera, je suppose qu’il faudra faire la queue pour une femme. »
Ils continuèrent de causer à bâtons rompus, tout en avançant avec la queue. Quand Red arriva devant l’infirmier, il ne sut d’abord quoi lui dire. II se rappela de vieux nomades, leurs membres déformés par les rhumatismes et l’arthrite et la syphilis, leur regard vide, leur ivresse chronique. Ils l’avaient abordé une fois, essayant de le taper – de quoi s’acheter des « pilules ».
Maintenant c’était à son tour de mendier une pilule, et le temps d’une seconde il se trouva muet. L’infirmier le regardait avec ennui.
« C’est mon dos, grommela finalement Red avec em barras.
– – Ben, enlève ta chemise, je peux pas voir à travers tes vêtements », cracha l’infirmier.
Sous la repartie de l’autre, Red se réveilla. « Si même je l’enlève t’en sauras pas grand-chose, s’emporta-t-il. C’est mes reins. »
L’infirmier soupira. « Ferez mieux d’inventer autre chose, vous autres. Vas-y par là-bas voir le toubib. » Sans répondre, Red se mit à la queue d’une autre file, plus longue que la précédente. Il se raidissait de colère. « Faut pas que je me laisse emmerder », se dit-il.
Wilson le rejoignit au bout d’un moment. « Ils y connaissent rien du tout. Vous renvoient seulement d’un type à un autre. »
C’était le tour de Red d’être examiné, quand un officier entra sous la tente, saluant le médecin. « Venez par ici », l’appela le docteur. Ils parlèrent pendant quelques minutes sous l’œil de Red. « J’ai attrapé un rhume de cerveau, disait l’officier. C’est cet enfer de climat. Pouvez vous me donner quelque chose pour m’en débarrasser, sans que ça soit votre maudite aspirine ? » Le médecin rit. « J’ai votre affaire, Ed. J’en ai reçu un peu par le dernier arrivage. Loin de suffire pour tout le monde, mais vous êtes le bienvenu. »
Red se tourna vers Wilson et gouailla ; « Si nous nous amenions avec un rhume, ils nous enverraient chier. » Il avait parlé assez fort pour se faire entendre des officiers, et le médecin posa sur lui un regard glacial que Red soutint sans broncher.
L’officier parti, le médecin dévisagea Red. « Qu’est-ce qui ne va pas avec vous ?
– Néphrite.
– Laissez-moi le soin de faire le diagnostic, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.
– Je sais ce que c’est, fit Red. Un docteur, en Amérique, me l’a dit.
– Vous semblez tous savoir ce qui vous démange, vous autres. » Il le questionna sur les symptômes, écouta distraitement ses réponses. « Bon, et alors, vous avez une néphrite : que voulez-vous que
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