Les Nus et les Morts
laissèrent dans le doute ; aussi, ce plan secondaire, il l’avait remisé sur une voie de garage, dans la nécessité où il se trouvait de réaliser quelque chose de tangible et d’effectif. C’était cependant cet autre plan qui le sollicitait, et un matin, au cours d’une conférence avec ses officiers d’état-major, il prit la décision (l’élaborer une série de dispositifs additionnels qui comprenaient l’appoint naval.
Cet autre plan était simple mais puissant. L’extrémité du liane droit de la Ligne Toyaku était ancrée en bordure de l’eau, à un mille ou deux derrière le point où la péninsule rejoignait le corps de l’île. A six milles de là se trouvait une petite crique appelée Botoï Bay. Le nouveau plan du général consistait à débarquer un millier d’hommes à Botoï et à leur faire remonter l’île selon une diagonale pour prendre à revers le centre de la Ligne Toyaku. En même temps son attaque frontale, quoique réduite en force, s’avancerait à Ta rencontre des troupes d’invasion. L’invasion pouvait réussir si à son tour le débarquement avait réussi.
Seulement, là gisait l’incertitude. Le matériel flottant dont il disposait pour la navette entre les cargos au large et l’île était suffisant pour lui permettre de transporter ses troupes d’invasion en une seule vague, si besoin ; mais Botoï Bay était presque entièrement hors de la portée de son artillerie, et la reconnaissance aérienne montrait que cinquante ou peut-être même cent soldats japonais étaient retranchés dans des casemates et des blockhaus sur ce bout de terrain. Il était douteux que l’artillerie, ou même un bombardement en piqué, pussent les en déloger. Il aurait fallu qu’un destroyer, et préférablement deux, y lissent feu à bout portant – à un kilomètre au large peut-être. S’il y faisait débarquer un bataillon sans l’appoint naval, un sanglant et désastreux massacre en résulterait.
Et, tout au long d’une ligne de quatre-vingts milles la plage de Botoï Bay était le seul endroit sur la côte où il pût débarquer des troupes. Passé Botoï, quelques-unes des plus denses forêts de la jungle qui couvrait Anopopéi poussaient virtuellement à même l’eau, et plus près de son propre front les falaises étaient trop abruptes pour que des troupes d’invasion les pussent escalader. Il n’y avait pas d’alternative. Pour prendre la Ligne Toyaku à revers il fallait l’appoint de la marine.
Ce qui séduisait le général dans cette invasion de flanc était ce qu’il appelait sa « justesse psychologique ». Les hommes débarqués à Botoï se trouveraient jetés sur les arrières de l’ennemi sans voie de retraite possible, et leur seul salut consisterait à pousser de l’avant pour établir un contact avec leurs propres troupes. Ils seraient forcés d’avancer. Et, réciproquement, les troupes qui attaqueraient de front combattraient avec plus d’enthousiasme. Elles seraient contentes de n’avoir pas été de l’invasion et, plus important encore, elles croiraient rencontrer une résistance plus molle, moins décisive, à cause du mouvement tournant.
Le plan de bataille de l’assaut frontal ayant été complété – il ne s’agissait plus que de quelques jours d’attente, jusqu’à ce que les approvisionnements fussent amenés à pied d’œuvre – Cummings convoqua ses officiers d’état-major en conférence spéciale, leur décrivit son nouveau plan, et donna ordre d’en développer le détail en fonction de l’attaque principale. En même temps, par la voie hiérarchique, il fit une demande de trois destroyers. Puis il mit son état-major à l’œuvre.
Après un déjeuner rapide le commandant Dalleson retourna à la tente qui abritait les services de sa section et se mit à travailler au plan pour l’invasion de Botoï. Il s’assit derrière sa table, ouvrit le col de sa chemise, se tailla d’un geste lent et absorbé quelques^ crayons, puis, sa lèvre inférieure lourde et moite pendillait pensivement, il se choisit une feuille de papier blanc et écrivit en tête de page avec de grosses lettres majuscules : « Opération Coda. » Il soupira de contentement et alluma un cigare, amusé un instant par le mot coda, qui ne lui disait rien. « Veut dire probablement code », murmurât-il sans y penser. Lentement, laborieusement, il s’efforça de se concentrer à son travail. Il s’agissait d’un problème qui lui
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