Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
Vom Netzwerk:
végétation qui les recouvrait. Leur ligne était laide, brisée et torse, où les rochers mettaient une tache nue pareille à la bosse des bisons, quand, en été, ils perdent leur poil. Hearn sentait le poids et la résistance de cette terre. Si le terrain où ils devaient aborder était similaire à celui-ci, ils allaient avoir mille peines à s’y tailler un passage. Tout à coup l’idée de cette patrouille lui parut un peu fantastique.
    Pendant un moment le bruit régulier des moteurs qui actionnaient l’embarcation s’empara de son ouïe. Le fait que Cummings l’eût chargé de cette patrouille, la lui rendait suspecte ; il se défiait des motifs qui avaient poussé le général à concevoir cette mission. Il semblait peu croyable que Cummings l’eût déplacé par inadvertance ; il n’ignorait certainement pas que ce faisant il venait au-devant des désirs d’Hearn.
    Se pouvait-il seulement que la décision de le transférer vînt de Dalleson ? Hearn en doutait. Il était facile d’imaginer une scène au cours de laquelle Cummings aurait soufflé son idée à Dalleson. Et il se pouvait fort bien que, l’ayant fait affecter à Reconnaissance, Cummings n’eût conçu la patrouille que pour pousser plus avant quelque projet de son cru.
    Tout cela paraissait un peu extravagant. Il connaissait les haines dont Cummings était capable, mais il le voyait mal exposant la vie de toute une section à seule fin de satisfaire une petite vengeance. Il y avait d’autres moyens, moins coûteux ; de plus, artiste dans son métier d’homme de guerre, Cummings r.’avait rien d’un gaspilleur. La patrouille, à ses yeux, devait faire partie d’une manœuvre en règle. Ce qui préoccupait Hearn, c’est que le général n’était peut-être pas conscient de ses propres motifs.
    Qu’ils pussent faire une marche de trente ou de quarante milles à travers une jungle inexplorée, passer un col dans la montagne, reconnaître les arrières des Japonais et revenir sur leurs pas, paraissait à peu près irréalisable ; plus attentivement il considérait l’entreprise, plus il la voyait difficile. Il manquait d’expérience, soit, et, de fait, la mission pouvait se révéler plus facile qu’il n’escomptait, mais la réussite n’en demeurait pas moins douteuse.
    D’avoir été chargé de la patrouille lui procurait une douce satisfaction. Quelles que fussent les raisons de Cummings, il n’y avait pas de tâche qu’il préférât à celle-ci. Il prévoyait une suite de contretemps, de dangers, de déceptions inévitables ; mais au moins, il s’agissait d’une action positive. Pour la première fois depuis bien des mois il lui arrivait de désirer certaines choses, de les désirer simplement, honnêtement. S’il savait s’y prendre, si les événements prenaient la tournure qu’il voulait leur donner, il réussirait à établir une sorte de contact avec ses hommes. – Une brave section.
    Le cours de sa pensée le surprenait un peu. Une approche trop naïve, trop idéaliste, qui ne lui ressemblait guère. Il suffisait de situer la chose sous un autre angle pour qu’elle apparût dans tout son ridicule. Une brave section… Brave pour quoi faire ? Brave parce que faisant du zèle dans une institution qu’il méprisait, une institution dont Cummings lui avait exposé l’anatomie ? Ou est-ce parce que c’était sa section, son enfant ? Concept de la propriété privée, pour laquelle il se découvrait (les sympathies. Du paternalisme ! « La vérité, pensa t il avec un sourire, la vérité c’est que je ne suis pas prêt pour le nouvel ordre de Cummings, où tout est mis en circulation et où jamais rien n’est possédé en propre. »
    Quoi qu’il en fût, il n ignorait pas que la nature de ses propres motifs lui deviendrait compréhensible tôt ou tard. Que c’était mieux ainsi, il le savait d’intuition. Il avait pris en affection la plupart des hommes qui faisaient partie de la patrouille, d’emblée, instinctivement, et, ce qui ne laissait pas de le surprendre, il voulait s’en faire aimer. Il leur avait même fait des avances, insinuant à mots couverts qu’il n’était pas un mauvais coucheur, mettant en œuvre des trucs repris inconsciemment chez son père et chez certains officiers. Il s’entendait à ce genre très particulier de copinage qui manquait rarement son but quand on avait affaire à des Américains ; la technique impliquait pas mal de promiscuité, d’ailleurs

Weitere Kostenlose Bücher