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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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et un chatoiement de couleurs que l’on ne peut voir que dans les tropiques. A l’exception d’une bande étroite située à l’horizon, le ciel entier était couvert de nuages noirs gorgés de pluie. Le soleil avait déjà disparu, mais son reflet se concentrait en une ligne de couleur où le ciel cl l’eau se rejoignaient. Le coucher dessinait un arc en forme d’anse, de port étrange et illusoire baigné dans un spectre éclatant fait de cramoisis et de jaunes d’or et de verts canari. Un collier de minuscules nuages semblables à des saucisses en miniature s’égrenait en un pointillé d’un pourpre royal. Bientôt les hommes se firent l’impression d’apercevoir une ile fabuleuse sortie de leur imagination. Tout rougeoyait dans cette île, tout y frémissait de réalité. On y voyait une plage aux sables polis et dorés, et sur ce rivage imaginaire un bouquet d’arbres projetait dans le crépuscule un éclat magnifique couleur bleu lavande. Celte plage était différente de tout ce qu’ils avaient jamais connu ; on y reconnaissait le moindre affleurement de roche, le moindre repli des dunes sur un rivage nu et figé, mais ici tout frémissait de vie et de chaleur. La terre s’élevait par-dessus le pourpre feuillage en des vallonnements violets et écarlates, pour se surfiler à même l’ombre qui planait sur le port. Illuminée par le couchant, l’eau s était donné le bleu clair et profond du ciel un soir d’été.
    Ile sensuelle, terre biblique de vins vermeils et de sables dorés et d’arbres indigo. Les hommes regardaient et regardaient. L’île planait devant leurs yeux comme un para is conçu par quelque monarque oriental, et. ils y aspiraient avec une intense et terrible nostalgie. Toutes 1rs beautés auxquelles ils eurent jamais aspiré, toutes le« extases dont ils eurent jamais rêvé, étaient contenues dans cette vision. Le temps de quelques minutes elle emporta le long écoulement des jours, les mornes et muets mois de jungle sans espoir et sans orgueil. Chacun d’eux, s’il s’était su sans témoins, aurait avancé ses bras à la rencontre du miracle.
    Cela ne pouvait pas durer. Lentement, inévitablement, la plage se résorbait dans la nuit environnante. Les sables d’or s évanouissaient, prenaient une teinte d’un gris verdâtre qui tournait au noir. L’île s’abîma dans l’eau, et la marée de la nuit emporta les collines de rose et de lavande. Bientôt il n’y eut plus que le gris noir de l’océan, le ciel sombre, et le méchant bouillonnement du sillage. Des particules phosphorescentes tourbillonnaient dans l’écume. L’océan d’encre ressemblait à un miroir de la nuit ; froid, distillant l’épouvante et la mort, il les pénétrait de terreur muette. Ils revinrent à leurs couchettes, s’installèrent pour la nuit, et restèrent un long temps à veiller frileusement sous leurs couvertures.
    Il se mit à pleuvoir. Le canot poussait et ahanait dans le noir, roulant à une centaine de mètres seulement de la côte. L’angoissante anticipation de la patrouille à venir pesait sur chacun. L’eau clapotait lugubrement sur les flancs de l’embarcation.
    Tôt le matin la section prit pied sur le rivage nord d’Anopopéi. La pluie avait cessé, et l’air était frais et plaisant dans le soleil matinal. Les hommes se mirent a flâner sur le sable, suivant du regard leur canot qui débordait de la côte et prenait la mer pour son voyage do retour. Cinq minutes avaient suffi pour lui faire gagner un demi mille au large, mais il leur paraissait tout proche encore, facile à rattraper en quelques brasses dans cette eau tropicale, claire et scintillante. Ils suivaient l’embarcation d’un regard plein de regret, enviant le pilote qui, A la nuit tombante, jouirait d un plat chaud dans la sécurité du bivouac. « Ça c’est la bonne planque », pensait Minetta.
    La matinée avait encore la brillante fraîcheur d’un sou neuf. L’idée de se trouver sur une côte inexplorée ne les excitait pas particulièrement. La jungle, dans leur dos, avait un air parfaitement familier ; nue, isolée, couverte de coquillages qui luisent et miroitent dans la chaleur, la plage ressemblait à bien d’autres plages où il leur arriva de débarquer. Ils s’étalèrent sur le sable, fumant et riant dans l’attente du départ, fort satisfaits de se faire sécher au soleil.
    Hearn se sentait un peu tendu. Dans quelques minutes ils allaient entreprendre une marche de

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