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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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chuté de plusieurs petites hauteurs semées d’éclats de roche. Sur la berge le sable riverain succéda aux galets, puis la vase au sable. La colonne suivait au plus près de l’eau, et peu à peu le feuillage se mit à les fouailler, obstruant la vue. Ils n’évoluaient plus que très lentement.
    Ils firent halte à l’endroit d’un tournant et examinèrent le terrain qui s’offrait à leur regard. Le feuillage, sur ce point, poussait à même l’eau, et Croft, après avoir considéré le problème, s’avança vers le centre de la rivière. Il s’immobilisa à quelque cinq mètres de la rive. L’eau, qui lui arrivait à la ceinture, tourbillonnait puissamment autour de lui. « Faut qu’on se cramponne à la berge, mon lieutenant », dit-il. Se retenant à la végétation, il se mit à avancer en bordure de la rivière, l’eau lui recouvrant les cuisses. Les hommes le suivirent laborieusement, n’étirant le long du rivage. Ils firent ainsi plusieurs centaines de mètres, s’agrippant aux buissons, se tirant et se halant contre le courant. Ils pataugeaient dans la vase qui tapissait le fond du ruisseau, attentifs à ne pas perdre leurs fusils qui leurs glissaient constamment des épaules. Leurs chemises, à force de transpiration, étaient aussi trempées que leurs pantalons. En plus de la fatigue et de l’atmosphère glauque et moite qui les mettaient en nage, ils suaient d’angoisse. Le courant avait une force et une ténacité qui semblaient douées de vie. Une sorte de frénésie s’emparait d’eux, la même qu’ils auraient manifestée à la vue d’un animal sauvage mugissant à leurs pieds. Leurs mains saignaient au contact des épines et du feuillage en lame de couteau, et leur barda s’alourdissait.
    Ils avancèrent de la sorte jusqu’à,  ce que la rivière s’élargît de nouveau et redevînt moins profonde. La force du courant décrut, et ils purent progresser avec moins de peine dans une eau qui leur arrivait aux genoux. Après plusieurs coudes ils atteignirent un rocher, plat et large, qui détournait le cours de la rivière, et Hearn ordonna une halte.
    Les hommes se laissèrent choir à leurs pieds, demeurant sur place sans mot et sans mouvement. Hearn était soucieux ; son cœur se démenait laborieusement, et ses mains tremblaient. Couché à plat dos, il surveillait par-dessus son torse la rapide pulsation de son estomac. « Je suis en mauvaise forme », se dit-il. Les deux jours à venir, et surtout cette première journée, allaient être durs à passer ; depuis trop longtemps il n’avait pris aucun exercice. Mais il allait remonter la pente. Il connaissait sa force.
    Et, déjà, il commençait de se faire à la tension de tous les instants. Peut-être était-ce plus pénible pour celui qui menait la colonne. Il lui était arrivé de s’arrêter à plus d’une reprise, de se crisper à Ta suite d’un bruit inattendu, de tressaillir à la vue de quelque insecte qui se mettait en travers de son chemin – comme ces araignées énormes au corps aussi grand qu’une noix, aux pattes aussi larges que les doigts de sa main ouverte. Ces choses vous épuisaient ; il avait noté que Martinez et Brown en souffraient tout autant que lui. Une espèce de peur très spéciale, propre à tout terrain inexploré, s’emparait de vous ; chaque pas plus avant dans la jungle ajoutait à l’épreuve.
    Croft ne s’était pas montré trop incommodé. Ce Croft, quel gars, pensait Hearn. S’il ne faisait pas attention, Croft conserverait le commandement effectif de la section. L’embêtant était que Croft en savait plus que lui, en sorte qu’il était vain de le contredire ; la marche, jusqu’à ce point, avait exigé le savoir-faire d’un forestier.
    Hearn s’assit et regarda autour de lui. Les hommes s’étalaient sur le rocher. Quelques-uns échangeaient des propos ou lançaient des cailloux dans la rivière, et Valsen effeuillait avec soin une branche qui surplombait le rocher. Hearn consulta sa montre. Cinq minutes s’étaient écoulées depuis le commencement de la halte ; dix minutes de plus n’allaient faire de mal à personne. Autant leur donner un peu de battement. Il s’étira, se rinça la bouche au goulot de son bidon, puis échangea quelques mots avec Minetta et Goldstein.
    Ayant regagné son souffle, Brown engagea une conversation avec Martinez.
    Brown était déprimé ; les ulcères, sur ses jambes, cuisaient et démangeaient, et il savait que la

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