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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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douleur irait en augmentant a mesure que la patrouille se prolongerait. Futilement, désespérément, il songeait à la joie de rester au soleil avec ses jambes dénudées, permettant à la chaleur de sécher ses plaies.
    « Ça va être un fils de pute de boulot », soupira-t-il.
    Martinez acquiesça, c Cinq jours long temps. »
    Brown baissa la voix. « Qu’est-ce que tu penses de ce nouveau lieutenant ?
    – Ça va, dit Martinez avec un haussement d’épaules. Bon type. » Il lui fallait répondre avec prudence. On savait qu’il était copain avec Croft, et il ne voulait pas laisser pressentir son hostilité pour Hearn. Avec Croft tout avait bien marché. « Trop amical peut-être, suggéra-t-il. Chef de section doit être dur des durs.
    – Ce gars-là il se peut bien que c’est un salaud de (première », dit Brown. Mais, au fait, il était indécis. Il n’aimait pas particulièrement Croft ; Croft, il en avait le sentiment, le prenait en dédain. Mais, avec lui, il savait au moins à quoi s’en tenir. Avec le nouveau lieutenant il lui faudrait être prudent, faire toujours de son mieux, et même alors il risquait de lui déplaire. « Et pourtant il a l’air d’un bon £ars », ajouta-t-il doucement. Il y avait encore autre chose qui le préoccupait. Il alluma une cigarette et expira la fumée avec précaution : ses poumons se ressentaient encore de la marche. La cigarette avait un goût déplaisant, mais il continua de fumer. « Tu sais, Mange-Japonais, laisse-t-il échapper, je te jure qu’y a des (fois comme maintenant, quand on est en patrouille, où je voudrais être un simple troufion. Les types croient qu’on se la coule douce nous autres, surtout les nouveaux, qui pensent qu’un sergent c’est la planque où qu’on se l’ouïe pas. » Il tripota un des ulcères sur son menton. « Nom de Dieu, ils savent pas les responsabilités qu’on a. Prends quelqu’un comme Stanley, il a même pas vu le commencement d’une bagarre alors il se pousse, il travaille du coude. Tu sais, Mange-Japonais, j ai été drôlement fier quand on m’a fait sergent, mais je sais pas si j’aurais accepté si c’était à recommencer. »
    Martinez haussa les épaules. Il était un rien amusé. « C’est dur, proposa-t-il.
    – T’as foutrement raison que c’est dur. » Il arracha une feuille à une branche qui descendait sur le rocher, se mit à la mâcher pensivement. « Tu sais, y a une limite à ce qu’on peut encaisser, après quoi tes nerfs s’en vont à la débandade. Je vas te dire une chose, je peux te parler à toi parce que tu connais la musique, mais si c’était à refaire est-ce que t’aurais accepté d’être sergent ?
    – Qui savoir ? » Mais Martinez ne doutait pas : il aurait accepté. Il revit en pensée les trois galons qui adornaient son uniforme gris olive, et une bouffée d’orgueil l’envahit mêlée d’un sentiment de malaise.
    « Tu sais ce qui me donne les foies, Mange-Japonais ? C’est mes nerfs qui foutent le camp. J’ai parfois la trouille que je vas tomber en morceaux et que je serai plus bon à rien foutre. Tu vois ce que je veux dire ? » L’idée lui donnait du tracas depuis quelque temps et il se sentit soulagé de l’avoir admis, comme s’il avait trouvé une excuse avant la lettre au cas où il en viendrait effectivement à s’effondrer. Il lança un caillou dans la rivière, suivant des yeux les ronds qui couraient sur l’eau.
    Martinez éprouvait un calme mépris pour Brown. Il lui plaisait que Brown eût peur. « Mange-Japonais peur aussi, se dit-il, mais Mange-Japonais… lui pas se rendre. »
    « Le pire, disait Brown, c’est pas de casser sa pipe parce que, merde alors, ça te fait plus rien après. Mais si un gars de ton escouade écope une balle et que c’est de ta faute ? Jésus, y a plus moyen d’y pas penser. Dis, tu te rappelles cette patrouille à Motome, quand Mac Pherson a été tué ? J’y pouvais rien, mais tu te rends compte ce que ça m’a fait de le laisser comme ça, de partir et de le laisser derrière moi ? » Il fit voler sa cigarette d’une chiquenaude, nerveusement. « C’est pas du tout cuit, que d’être un sergent. Quand j’ai pris du service je voulais monter en grade, mais parfois je me demande à quoi bon nom de Dieu. » Il réfléchit, puis soupira. « Je sais pas, je suppose que vu ce qu’est la nature humaine, j’aurais pas été content de rester un simple troufion. C’est

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