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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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blond clair. En Amérique même les Yiden ont l’air de goyim. Des cheveux blonds. Le vieil homme sort de son apathie, il parle en yiddish. Ils t’ont frappé parce que tu es un juif. Sais-tu ce que c’est, un juif ?
    Oui.
    Le grand-père ressent une bouffée de chaleur pour son petit-fils. Si beau. Si gentil. Lui n’est qu’un vieil homme, bientôt il mourra, et l’enfant est trop jeune pour le coin prendre. Toute cette sagesse qu’il aurait pu lui train » mettre.
    Il est bien difficile de savoir quelle est la signification du juif, dit-il. Le juif n’est pas une race, il n’est même plus une religion, il ne sera peut-être jamais une nation. Le vieil homme se rend vaguement compte qu’il a déjà perdu l’attention de l’enfant, mais il continue de rêvasser a haute voix.
    Quelle alors est sa signification ? Yehudah Halévy a dit que Israël est le cœur de toutes les nations. Ce qui attaque le corps, attaque le cœur. Et le cœur est aussi la conscience qui souffre pour les péchés des nations. Une fois encore il hausse les épaules, ne sachant plus s’il exprime à haute voix ce qu’il pense, ou si, simplement, il remue les lèvres. C’est un problème très intéressant, mais je crois moi qu’un juif est un juif parce qu’il souffre. Tous les Yiden souffrent.
    Pourquoi ?
    Pour mériter la venue du Messie. Mais le vieil homme ne sait plus au juste. Ça nous rend meilleurs et pires que les goyim, pense-t-il.
    Mais les questions des enfants ne doivent jamais rester sans réponse. Il se secoue, se concentre, dit sans conviction – c’est pour que nous puissions durer. Alors qu’il parle, toute sa lucidité lui revient pour un moment. Nous sommes un peuple harcelé, cerné par nos oppresseurs. Nous devons sans cesse voyager de désastre en désastre ; ça nous rend plus forts et plus faibles que les autres ; ça fait que, plus que personne au monde, nous aimons et nous haïssons les autres Yden. Nous avons tellement souffert que nous savons comment endurer la souffrance.. Nous souffrirons toujours.
    Le garçonnet n’y comprend à peu près rien, mais il a perçu des mots qui se gravent dans sa mémoire qu’un jour, peut-être, il exhumera. Il regarde son grand père, il voit les veines qui cordent ses mains, et dans ses yeux pâles de vieil homme il voit la colère et l’éclat fébrile de l’intelligence. Souffrir. C’est le seul mot que Joey Goldstein absorbe. Déjà il a oublié sa honte et sa peur d’avoir été rossé. Il tripote le sparadrap sur sa tempe, se demandant s’il peut aller jouer dehors.
    Les pauvres sont de grands voyageurs. Il y a toujours de nouvelles affaires, de nouveaux emplois, ae nouvelles places où l’on peut vivre, de nouveaux espoirs qui finissent en queue de poisson.
    Il y a cette boutique de sucreries dans l’East Side, qui fait faillite, puis une autre boutique qui fait faillite, puis encore une autre. Il y a des déménagements : dans It-Bronx, de retour à Manhattan, à Brooklyn. Le grand-père est mort et la mère, restée seule avec Joey, s’installe finalement à Bronwnsville, – la même boutique avec la même fenêtre bancale sur la rue, et la même poussière sur les bonbons.
    Quand il est âgé de huit et de neuf et de dix ans, Joey ouvre la boutique à cinq heures du matin, vend journaux et cigarettes aux gens qui vont à leur travail, s’en va lui-meme à sept heures et demie à l’école, d’où il revient à la boutique pour y rester jusqu’à ce qu’il soit presque temps d’aller au lit. Et sa mère, elle aussi, ne quitte guère son commerce de la journée.
    Les années passent avec lenteur dans le néant du travail et de la solitude. Joey est un garçon étrange, si mûr pour son âge, disent les gens à sa mère. Et il est avide de Elaire, un bon vendeur dans la boutique, dans le sens honnête du mot, mais il ne promet pas d’être le grand commerçant, le brasseur d’affaires. Il est tout travail, et entre lui et sa mère une union intime s’établit, propre aux gens qui peinent ensemble pendant des années.
    Il a des ambitions. Du temps qu’il va à l’école il se berce de rêves impossibles dé, collège, il se voit Ingénieur, ou savant. Dans ses rares moments de liberté il lit des ouvrages techniques, rêve au jour où il pourra quitter la boutique. Mais quand ce jour arrive, il travaille bien sûr dans un entrepôt comme magasinier, tandis que sa mère emploie un mioche pour l’aider à la boutique.
    Et

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