Les Nus et les Morts
sage.
Oh ! Joey, tu ne me comprends pas, quand j’ai pris une décision ma décision est prise, je peux attendre, tu ne dois pas te faire du souci à cause de moi. Elle a un rire doux et chaud.
Une dure année commence pour lui. Il travaille quarante-quatre heures à l’entrepôt, avale un dîner rapide, s’efforce de tenir son attention en éveil aux heures de classe et d’atelier. Il rentre à minuit, se couche, s’arrache de son lit le matin suivant, Les mardis et les jeudis il voit Natalie après sa classe, reste avec elle jusqu’à deux ou trois heures du matin – au grand déplaisir des parents de la jeune fille et au scandale de sa propre mère.
Elle le dispute à ce sujet.
Joey, je n’ai rien contre elle, c’est probablement une jeune fille très bien, mais tu n’es pas en situation de te marier, par égard pour elle je ne veux pas que tu te maries. Elle ne voudrait pas vivre comme une pauvresse.
Mais c’est ce que tu ne Comprends pas, c’est ici que tu la sous-estimes, elle sait ce qui nous attend, ça n’est pas du tout comme si nous y allions à l’aveuglette.
Vous n’êtes que des enfants.
Voyons, maman, j’ai mes vingt et un ans, je n’ai pas été un mauvais fils, n’est-ce pas, j’ai travaillé durement, j’ai droit à un peu de plaisir, à un peu de bonheur.
Joey, tu parles comme si je ne te l’accordais pas, bien sûr que tu as été un bon fils. Je te souhaite toutes les joies du monde, mais tu ruines ta santé, tu te couches trop tard, et tu vas te surcharger de responsabilités. Oh ! (des larmes mouillent ses yeux), je ne veux que ton bonheur, tu devrais le comprendre. Quand le temps sera venu de te marier j’en serai la première heureuse, et j’espère seulement que tu trouves une femme qui soit digne de toi.
Mais c’est moi qui suis indigne de Natalie.
Non-sens ! Rien n’est trop bon pour toi.
Maman, il faut que tu te rendes à l’évidence. Je vais me marier.
Elle hausse les épaules. Non, tu as encore une demi-année devant toi, puis il te faudra trouver du travail avec cette soudure. Je voudrais seulement que tu envisages la question sans parti pris, et quand le temps viendra nous verrons.
Mais mon parti est pris. Il ne s’agit plus d’hésiter. Je te jure, maman, tu me rends très malheureux.
Elle garde le silence, et pendant plusieurs minutes ils continuent de manger sans mot dire, troublés tous deux, tous deux remâchant de nouveaux arguments qu’il leur répugne de formuler, de crainte de tout recommencer. Elle soupire finalement, puis regarde son fils.
Joey, tu ne dois pas répéter à Natalie ce que j’ai dit, je n’ai rien contre elle, tu le sais. A moitié convaincue, elle commence, avec circonspection, de ménager la chèvre et le chou.
II termine ses cours à l’école de soudure, trouve à s’embaucher pour vingt-cinq dollars par semaine, et ils se marient. Les~""cadeaux de mariage leur font presque quatre cents dollars, de quoi s’acheter une chambre à coucher, et un divan et deux chaises pour le salon. Ils complètent leur appartement avec quelques chromos, une scène de pâturage au crépuscule, une mauvaise reproduction de « La Porte Bleue », et un Maxfield Parrish découpé dans un placard publicitaire. Natalie dispose sur l’une des tables de nuit leurs photographies de mariage, jointes comme une garde de livré dans un cadre jumelé. La mère de Joey leur donne quelques bricoles et une collection de petites tasses et de soucoupes décorées de chérubins nus et grassouillets qui se poursuivent en rond. Ils s’installent dans leur deux pièces-cuisine et ils sont très heureux, très épris l’un de l’autre. Avant la fin de leur première année il se fait ses trente-cinq dollars par semaine, et ils s’intègrent dans le cercle régulier, ordonné, où se meuvent leurs parents et amis. Joey devient un adepte du bridge. Peu fréquents, vite oubliés, leurs orages matrimoniaux sont ensevelis sous l’agréable et monotone avalanche du train-train quotidien.
Une ou deux fois il y a du tirage entre eux. Joey, estiment-ils, est très viril, et le fait qu’elle ne réponde pas toujours à ses avances l’emplit d’amertume et de pensées parfois odieuses. Ceci ne veut pas dire que leurs rapports soient toujours décevants, ou même qu’ils en parlent ou s’en préoccupent outre mesure. Mais, tout de même, ça le contrarie. Il ne peut pas comprendre l’imprévisible froideur de Natalie ; ses caresses, au
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