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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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raison de son rire. C’était peut-être l’embarras. Lui et Goldstein étaient trop exténués pour se parler, mais encore que lui seul connût le chemin du retour il avait admis comme allant de soi que Goldstein était le chef d’équipe, Ridges n’avait jamais conduit aucune entreprise, et c’est très naturellement qu’il abandonna à Goldstein le soin de prendre les initiatives.
    Mais présentement Goldstein étant couché à dix mètres de là, face contre terre, presque inconscient. Ridges secoua la tête, se disant qu’il était trop fatigué pour réfléchir. Il semblait cependant absurde de refuser une gorgée d’eau à son prochain. « Une petite lampée d’eau fera point de mal à personne », se dit-il.
    Mais Goldstein, lui, savait lire. Ridges hésitait à l’idée de contrevenir à quelque loi contenue dans le vaste et mystérieux univers des livres et des journaux. « Père avait coutume de dire quelque chose au sujet des malades qui réclament à boire », pensa-t-il. Mais il ne put se souvenir quoi. « Comment ça va, vieux ? demanda-t-il d’une voix incertaine.
    – Faut que tu me donnes de l’eau. Je brûle. »
    Ridges secoua de nouveau la tête. Wilson avait vécu dans le péché, et maintenant il brûlait dans les flammes de l’enfer. Il en fut épouvanté. « Si un homme mourait dans un état de péché, sa punition était certainement terrible. Mais le Seigneur Christ l’est mort pour les pauvres pécheurs », se dit-il. On tombait soi-même dans le péché si on ne faisait pas miséricorde à quelqu’un.
    « Je crois que je vas t’en donner un peu », dit-il avec un soupir. Il prit son bidon, jeta un coup d’œil sur Goldstein. Il ne voulait pas se faire reprendre par lui. « Voilà, -t’as qu’à vider ça. »
    Wilson but fébrilement. L’eau giclait de sa bouche, s’écoulait sur son menton, mouillait le col de sa chemise.
    « Oh ! dis. » Il buvait gloutonnement, avidement, avec une sensation de volupté dans la gorge. « T’es un brave fils de garce », grommelât il. Il avala de travers et se mit à tousser violemment, s’essuyant le menton d’un geste furtif et nerveux. Ridges regardait la joue moite de Wilson où, suivant sa course, une gouttelette de sang se donnait une teinte de plus en plus rosâtre.
    « Te crois que je m’en tirerai ? demanda Wilson.
    – Sûr », dit Ridges en frissonnant. Il se rappelait le sermon d’un prédicateur au sujet du feu éternel. « Vous y coupez pas, votre affaire est bonne si que vous êtes des pécheurs », avait-il dit. Ridges savait qu’il venait de mentir au blessé, et cependant il répéta : « Sûr que te vas te retaper, Wilson.
    – C’est ce que je me dis. »
    Goldstein posa ses mains à plat sur le sol et se releva avec lenteur. Tout son être aspirait à rester couché. « Je pense qu’il faut remettre ça », dit-il tristement. Ils s’attelèrent au brancard et se remirent à clopiner.
    « Vous êtes un tas de bons gars, on en fait pas mieux que vous deux. »
    La louange les humilia. Dans ce moment, luttant encore contre les premiers effets de l’effort, ils le haïssaient.
    « C’est bon, dit Goldstein.
    –  Nan, c’est vrai, y a pas un comme vous deux dans toute la foutue section. » Il se tut, et ils s’abîmèrent dans la stupeur de la marche. Wilson délira pendant un moment, puis retrouva ses esprits. Sa blessure se mit à lui faire mal et il les injuria, criant de douleur.
    Ridges, du coup, en fut davantage troublé que Goldstein. Il n’avait guère songé à l’agonie de la marche ; il la tenait pour quelque chose qui allait de soi, un peu plus extrême peut-être que tout autre travail qu’il eût jamais fait, mais il avait appris dès son jeune âge que le travail était le propre de l’homme et qu’il était vain de souhaiter autre chose. C’était fatigant, c’était pénible, mais on n’y pouvait rien. On lui avait assigné une tâche et il allait l’accomplir. Cependant, cette tâche, pour la première fois il la haïssait en toute franchise. Il y eut peut-être trop de dérivés dus à sa fatigue, l’effet cumulatif de la peine avait peut-être dissous et remodelé la structure de son esprit, mais en tout cas il avait en abomination cette corvée et, par surcroît-, il venait de comprendre soudainement qu’il avait toujours haï le labeur fastidieux de la ferme et la lutte monotone, éternelle, contre un sol aride et ingrat.
    La révélation

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