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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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d’alerte le long de labyrinthes congestionnés de la jungle, les animaux se taisaient. On eût dit une marche funéraire.
    Ils descendaient des cascades, passant d’un rocher à mi-hauteur d’homme sur un autre rocher, Ridges se laissant aller le premier dans l’écume tandis que Goldstein glissait le brancard par-dessus le rebord de la pierre en attendant de se laisser choir à son tour. Ils se débattaient dans l’eau plus profonde, s’efforçant de tenir la civière à flot parmi les remous qui les cinglaient à la taille. Ils barbotaient le long des rives, ils luttaient et trébuchaient et tombaient avec le cc*ps de Wilson constamment sur le point d’être emporté. Il leur fallait s’arrêter presque à chaque pas, et leurs sanglots rejoignaient les bruits de la jungle et se perdaient dans le clapotis de la rivière.
    Ils étaient enchaînés au brancard et à son cadavre. Quand ils tombaient ils se précipitaient d’abord sur le corps de Wilson, ne reprenant leurs sens qu’après l’avoir  repêché de la rivière tout en se gorgeant d eau. Une force les poussait, plus impérieuse qu’aucun instinct. Ils ne songeaient pas à ce qu’ils feraient de lui au terme de leur voyage, ils ne se souvenaient même plus qu’il était mort. Le fardeau, lui, demeurait. Mort, Wilson était aussi vivant pour eux que jamais.
    Et cependant, ils. le perdirent. Ils étaient arrivés à l’endroit du rapide où Hearn avait tendu, diagonalement la liane. Elle n’y était plus ; les eaux l’avaient emportée, et le courant se démenait furieusement sur la rocaille où aucun support ne s’offrait pour guider les porteurs. Ils se rendirent à peine compte du danger. Ils s’engagèrent dans le rapide, firent trois ou quatre pas, et l’eau tourbillonnante leur coupa les jambes. Leurs doigts affaiblis lâchèrent le brancard, qui les emporta à sa suite. Pris dans leur harnais, ils s en furent roulant sur la vague démontée, ricochant contre la pierre, s’étranglant à force d’eau avalée. Ils firent de faibles efforts pour se dégager, essayant désespérément de regagner leur équilibre, mais la violence déjoua leurs tentatives. A moitié noyés, ils se laissèrent porter par l’eau.
    La civière se rompit sur un roc et ils entendirent la toile qui se déchirait – sensation isolée au cœur de la panique qu’ils ressentaient en avalant l’eau. Ils se dé battirent de nouveau et le brancard se cassa en deux, les libérant de leur harnais. Haletant, virtuellement insensibles, ils furent déportés hors la partie la plus dangereuse du rapide et gagnèrent en titubant la rive.
    Ils étaient seuls.
    Le fait s’imposa à eux peu à peu, les laissant tout ahuris. Il leur était presque impossible de se rendre à l’évidence. L’instant d’avant ils étaient en train de porter Wilson, et voilà Wilson disparu. Leurs mains étaient vides.
    « L’est parti… », bégaya Ridges.
    Ils se mirent à chanceler après lui le long de la rivière, marchant et tombant et se relevant. A un tournant du cours d’eau une vue de plusieurs centaines de mètres s’ouvrit à eux, et très au loin le corps de Wilson disparaissait dans un virage. « Allons-y, faut qu’on le rattrape », dit Ridges faiblement. Il fit un pas et tomba la face la première dans l’eau. Il se redressa avec une extrême lenteur, et ils reprirent leur marche.
    Ils arrivèrent à l’autre virage. La rivière, à partir de là, se transformait en un marécage. Un mince ruban d’eau coulait au milieu d’une fondrière. Wilson s’était embourbé là-dedans, perdu quelque part sous la végétation qui débordait le marais. Il aurait fallu des journées pour l’y retrouver, à supposer qu’il n’eût pas coulé.
    « Oh ! dit Goldstein, nous l’avons perdu.
    – Oui », marmonna Ridges. Il fit un pas, s’étalant une fois de plus dans l’eau. Il était bon d’en sentir le clapotis contre sa face, et il n’eut aucun désir de se relever, c Allez, viens », dit Goldstein.
    Ridges se mit à pleurer. Il fit un effort pour se rasseoir et, la tête sur ses bras croisés, il continua à pleurer. L’eau tourbillonnait autour de ses hanches et de ses pieds. Goldstein se tenait en chancelant au-dessus de lui.
    « Putain de mère de bordel de fils de pute », hoqueta Ridges. C’était la première fois qu’il jurait depuis son enfance, et les mots, sortant un à un de sa poitrine, laissèrent derrière eux un vide fait de rage et

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