Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen

Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
Vom Netzwerk:
lentement sur la montagne. A cinq heures le sommet de la chaîne lui apparut nettement dans le ciel qui s’éclaircissait, mais pendant une longue demi-heure la visibilité demeura stationnaire. De fait, il ne distinguait rien, mais une paisible anticipation se faisait en lui. Bientôt, à l’est, le soleil se hissera par-dessus les remparts de la montagne et descendra dans leur vallon. Il regarda le ciel, découvrit des traînées rosâtres qui coloraient de pourpre de minces et oblongs nuages au-dessus des pics. La montagne semblait très haute. Gallagher s’étonnait que le soleil pût l’escalader.
    Tout devenait plus clair autour de lui, par touches légères, car le soleil demeurait encore caché et la lumière, d’un rose tendre, semblait s’élever du sol. Déjà il discernait clairement ceux qui dormaient à côté de lui, et il ressentit une trace de supériorité. Ils avaient l’air émacié et morne dans le petit matin, oublieux de la venue du jour. Bientôt, quand il les réveillera, ils se mettront à grogner en sortant de leur sommeil.
    Vers l’ouest la nuit ne s’était pas encore repliée, et il se souvint d’un convoi de troupes qui filait par les grandes plaines du Nebraska. C’était à la tombée du jour, et la nuit, donnant la chasse au train, le gagnant de vitesse, traversa les Rocheuses en route pour le Pacifique, il était tout triste en songeant à la beauté du spectacle. Une nostalgie de l’Amérique lui vint tout à coup, un désir passionné de la revoir, de sentir l’odeur du pavé humide de Boston par un matin d’été.
    Le soleil abordait la lisière orientale de la montagne, et le ciel paraissait vaste et frais et joyeux. Il se vit faisant du camping avec Marie, rêvant qu’il se réveillait sous le toucher velouté de ses seins contre son visage. « Réveille-toi, lézard, regarde le lever du soleil », l’entendit-il dire. Il grogna paresseusement, se blottit contre elle dans son rêve, puis ouvrit de mauvaise grâce un œil en guise de concession. Le soleil était à cheval sur le sommet de la montagne, et encore que la lumière fût fugace dans le vallon, elle n’avait rien d’irréel. Le matin était là.
    Voilà comment Marie et lui accueillirent l’aube. La montagne secouait sa brume nocturne, et la rosée étincelait. Dans ce bref instant les falaises tout autour de lui eurent quelque chose de tendre et de féminin. Les hommes entassés à ses côtés paraissaient trempés et frileux – ballots revêtus d’ombre d’où la brume s’élevait. Lui seul était réveillé, à bien des milles à la ronde, et toute la jeunesse du matin lui appartenait sans partage.
    Sortant de l’aube, venant de l’autre côté de la montagne, un grondement d’artillerie ébranla sa rêverie.
    Marie était morte.
    Il avala sa salive, se demandant avec un muet désespoir combien de temps encore il continuerait à se leurrer. Il n’y avait plus rien sur quoi anticiper, et il venait seulement de se rendre compte à quel point il était fatigué. Ses membres étaient endoloris et son sommeil semblait ne lui avoir fait aucun, bien. La qualité de l’aube changea, le laissant frissonnant sous sa couverture humide et froide de rosée nocturne.
    Restait encore son enfant, ce garçonnet qu’il ne connaissait pas, mais cela ne le consolait guère. Il ne se donnait pas assez de temps pour le connaître – une évidence presque indolore, une austère certitude de son esprit. Trop d’hommes ont été tués. Mon tour arrive. Il se représenta avec une fascination morbide l’atelier où l’on fabriquait – -où l’on mettait sous emballage la balle qui lui était destinée.
    « Si seulement j’avais une photo du gosse. » Ses yeux se mouillèrent. C’était demander si peu de chose. Si seulement il rentrait de cette patrouille et vivait jusqu’à l’arrivée d’une lettre avec la photo de son gosse.
    Il eut de nouveau la misérable certitude qu’il se leurrait. Frissonnant d’angoisse, il jeta un coup d’œil inquiet sur la montagne qui l’entourait de toutes parts.
    « J’ai tué Roth. »
    Il se savait coupable. Il se rappelait la fugitive sensation de puissance et de mépris, le vif et sûr aiguillon de plaisir qu’il éprouva en hurlant à Roth de sauter. Il se tortillait avec gêne au souvenir de l’expression d’agonie qu’il vit à Roth à l’instant de la chute. Il le voyait qui tombait et tombait, et la vision raclait son épine dorsale avec un

Weitere Kostenlose Bücher