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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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de faire une centaine de mètres, évoquait un tourment qu’il se sentait incapable d’affronter. Et Ridges devait éprouver la même chose.
    Goldstein se sentit agacé. Pourquoi Ridges n’a pas été assez prévoyant pour économiser son eau ? Obstinément, il porta de nouveau le bidon à ses lèvres. Mais l’eau eut tout à coup un goût saumâtre, et il se rendit compte combien tiède elle était. Il s’efforça d’avaler une autre gorgée.
    Puis, succombant à un accès indicible de honte, il passa son bidon à Ridges.
    « Là, tu veux boire ?
    – Oui », dit Ridges. Il but avidement. Quand il eut presque vidé le bidon, il regarda Goldstein.
    « Non, finis-le.
    – Faudra qu’on farfouille demain la jungle pour trouver à manger, dit Ridges.
    – Je sais. »
    Ridges sourit faiblement. « On se débrouillera. »
    Le saut manqué de Roth les avait anéantis. Entassés pêle-mêle sur la corniche, trop saisis, trop horrifiés, il leur fallut dix longues minutes pour se surmonter. Ils étaient en proie à une incommunicable horreur. Ils se tenaient debout, plaqués contre la muraille, les doigts enfoncés dans les fissures du roc, les jambes coupées. Une ou deux fois Croft essaya de les ranimer, mais son commandement n’avait fait que les paralyser et les pétrifier davantage, comme s’ils eussent été des chiens qui rampent sous la botte du maître. Wyman sanglotait d’épuisement nerveux, un sanglot grêlé, continu, auquel se mêlait la voix des autres, un grognement ou une plainte ou un juron, au hasard, isolés les uns des autres, en sorte que ceux qui se manifestaient ainsi en étaient à peine conscients.
    Ils finirent par recouvrer assez de volonté pour continuer d’une allure désespérément lente, s’arrêtant longuement devant le moindre obstacle, s’agrippant avec rage dès que la corniche se rétrécissait. Au bout d’une demi-heure Croft leur fit finalement traverser la passe. La corniche s’élargit puis finalement enjamba la falaise il y eut une autre vallée profondément encaissée, une autre pente rapide. Il leur fit faire la descente et se mit à escalader un nouveau versant, mais ils ne le suivirent pas. Un à un ils se laissèrent choir par terre, le regardant de leurs yeux fixes et vides.
    Il faisait presque noir, et il comprit qu’il ne saurait les entraîner plus loin ; ils étaient trop exténués, trop terrorisés, et un autre accident pouvait arriver. Il ordonna une halte, approuvant un fait déjà accompli, et il s’assit parmi eux.
    Au matin il y aura ce versant à remonter, quelques passes à traverser, puis viendra l’escalade du pic proprement dit. Ils pourraient le faire en deux ou trois heures, si… s’il réussissait à les animer. Dans ce moment il doutait sérieusement de lui-même.
    Les hommes dormirent mal. Il leur fut impossible de se faire une litière à plat sur le terrain dénivelé, et bien entendu ils étaient surmenés et surexcités. La plupart eurent leur sommeil troublé de rêves agités. Pour comble, Croft leur ayant imposé une heure de garde à chacun, certains se réveillèrent trop tôt, attendirent trop anxieusement leur tour, et eurent le plus grand mal à se rendormir. Croft ne l’ignorait pas ; il savait que les hommes avaient besoin de cette heure de sommeil dont il les privait et que la présence des Japonais dans ces parages était plus qu’improbable, mais il lui parut essentiel de ne pas briser la routine. La mort de Roth avait ébranle momentanément son autorité, et il était vital de la restaurer.
    Gallagher eut le dernier tour de garde. Il faisait très froid dans la dernière demi-heure qui précédait l’aube et il se réveilla tout hébété, frissonnant sous sa couverture. Il resta un long temps avant de reprendre ses esprits. Tout autour de lui la vaste découpure des montagnes approfondissait les limites de la nuit. Frissonnant, sommeillant, il attendit passivement la venue du matin et de la chaleur du soleil. Une apathie complète s’était abattue sur lui, et la mort de Roth n’était plus qu’une lointaine abstraction. Il se laissait flotter dans la stupeur, l’esprit à peu près inerte, rêvassant languidement à des choses plaisantes d’un passé reculé, comme si, tout au fond de son être, il lui fallait entretenir vivante une flammèche qui le protégeât contre le froid de la nuit, les espaces vallonnés, la multiplication de la fatigue, les menaces de la mort.
    L’aube se fit

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