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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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« On peut faire tout le pèze qu’on veut si qu’on monte un alambic. Y a qu’à tourner le robinet et on a de quoi boire tant et plus. » Il perdit le fil, mais, d’un effort, il remonta à la surface. « Mais, je vas m’en fabriquer un aussitôt qu’on rentrera et je vous donnerai à chacun un bidon plein de gnole. Un bidon à l’œil. » Leurs visages émaciés restèrent sans expression, et il secoua la tête. Il ne leur offrait pas assez pour leur peine. « Dis, je vous donnerai à boire tant que vous voudrez, n’importe quand, ç’a pas d’importance. Avez qu’à m’en demander et ça sera à vous. » Il y croyait ferme ; son seul regret était de ne l’avoir pas encore construit, son alambic. « Tant que vous voudrez. » Son ventre s’affaissa de nouveau, puis il eut un spasme et il bascula dans l’inconscience, faisant entendre un ultime grognement de surprise à l’instant où il se sentit tourner de l’œil. Sa langue se projeta en avant et un dernier bruit de râpe s’échappa de sa gorge. Il roula au bas de la civière.
    Ils l’y remirent. Goldstein souleva le poignet de Wilson pour en tâter le pouls, mais il n’eut pas assez de force pour soutenir son bras. Il promena son index sur le poignet de Wilson. Les bouts de ses doigts étaient trop engourdis et il ne put rien sentir. Il le regarda. « Je crois qu’il est mort.
    – Oui », marmonna Ridges. Il soupira, pensant vaguement à dire une, prière.
    « Mais… » il parlait à l’instant. Goldstein eut un mouvement de recul sous le choc, et le temps d’une seconde la tête lui tourna.
    « On peut aussi bien remettre ça », grommela Ridges. Il se leva pesamment, ajusta les courroies du brancard sur ses épaules. Goldstein marqua un instant d’hésitation, puis l’imita. Ils entrèrent en titubant dans l’eau peu profonde de la rivière et se mirent à descendre d’aval.
    Ils ne pensaient pas qu’il y eût rien d’étrange à marcher ainsi avec un mort. Ils avaient trop l’habitude de le reprendre au bout de chaque halte ; la seule chose qu’ils comprenaient c’était qu’ils devaient le porter. Au surplus, ils ne croyaient pas réellement qu’il fût mort. Ils le savaient, mais ils n’y croyaient pas. Ils n’auraient pas été surpris s’il s’était mis à crier pour demander à boire.
    Ils parlèrent même de ce qu’ils allaient en faire. Lors d’une halte, Ridges dit : « Quand Tu le ramènera on lui fera une sépulture en terre chrétienne parce qu’il s’est repenti. »
    « Euh-heuh. » Mais le sens de leurs propres mots leur échappait. Goldstein refusait de se rendre compte que Wilson était mort ; il en chassait l’idée de son esprit, ne pensant à rien, se contentant de barboter dans l’eau de a rivière, ses pieds glissant sur la pierre plate polie du fond. Il y avait quelque chose qu’il ne pouvait pas affronter de face.
    Et Ridges lui aussi était abasourdi. Il n’était pas convaincu que Wilson avait demandé pardon ; tout s’emmêlait dans son esprit, et il s’accrochait à la pensée que si seulement il réussissait à ramener Wilson, à le faire enterrer décemment, la conversion serait valable. De plus, tous deux se sentaient frustrés de l’avoir porté si loin pour se trouver en fin de compte avec un cadavre. Ils voulaient mener à bonne fin leur odyssée.
    Très lentement, plus lentement que jamais, ils se traînaient dans l’eau avec le brancard qui oscillait entre eux. Les arbres et la végétation faisaient voûte au-dessus de la rivière qui serpentait le long d’un tunnel à travers la jungle. Tête basse, ils s’avançaient sur des jambes raides, comme peur de s’écrouler s’ils devaient plier le genou. Aux arrêts ils se laissaient aller à même l’eau, s’affalant à côté du brancard submergé à demi.
    Ils étaient presque inconscients. Leurs pieds tâtonnaient le fond du ruisseau, crissant contre les galets. L’eau était glacée qui frappait à leurs talons, mais ils la sentaient a peine. Ils allaient d’aval, titubant sous la pénombre qui régnait dans la jungle. Les animaux jasaient à leur approche ; les singes hurlaient et se grattaient les hanches, les oiseaux s’appelaient les uns les autres ; mais tout se taisait à leur passage et demeurait silencieux pendant de longues minutes. Ils ahanaient comme un couple d’aveugles dont le corps s’exprime avec une muette éloquence. Derrière eux, ayant envoyé des signaux

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