Les Nus et les Morts
père riche, meilleures universités, plus tard les bons emplois, et jamais d’épreuves – sinon celles qu’il s’imposait délibérément. Il avait – et bien des amis avaient – de quoi nourrir un sentiment de culpabilité. Cela n’était pas tout à fait vrai quant à ceux qu’il avait connus à l’université. De ceux-ci certains furent déclarés non aptes pour le service armé, d’autres furent mobilisés comme simples soldats, d’autres encore devinrent des commandants dans l’armée de l’air ou des fonctionnaires dans les services secrets à Washington, quelques-uns échouèrent dans les camps pour objecteurs de conscience. Par contre, tous ceux qu’il avait connus dans les lycées pour gosses de riche où il fit ses études, étaient maintenant enseignes ou lieutenants. Une classe d’hommes nés pour le bien-être, accoutumés à se faire obéir… Mais cela n’était pas tout à fait correct. Ce n’était pas de l’autorité, c’était cette sorte d’assurance qu’il avait, ou que Conn avait, ou Hobart, ou son père, ou le général.
Le général. Un arrière-goût de son ressentiment lui revint. Sans l’intervention du général il eût été, dans cc moment, en train de faire ce qu’il aurait dû avoir fait. Un officier n’avait d’excuse que s’il était au feu. Aussi longtemps qu’il resterait ici il serait mécontent de lui-même, dédaigneux à l’égard des autres officiers – plus dédaigneux même qu’à son habitude. 11. n’y avait rien dans ce Q. G. ; rien – et tout cependant, une étrange satisfaction en dépit des embêtements de la routine. Travailler avec le général offrait des compensations uniques.
Le ressentiment, de nouveau, et cette autre chose, l’appréhension peut-être. Hearn n’avait jamais rencontré quelqu’un qui ressemblât au général, et il était à moitié convaincu que celui-ci était un grand homme. Ce n’était pas seulement parce que, sans contredit, le général était un homme brillant : Hearn avait connu des gens dont l’esprit égalait celui de Cummings. Ce n’était certainement pas à cause de son intelligence, étonnamment inégale au fait, coupée de grandes lacunes. Ce qu’il avait pour lui, c’était son don presque unique d’ajuster sa pensée à des normes d’action immédiate et effective, don qui pouvait passer inaperçu pendant des mois même aux yeux de ses collaborateurs.
Il était plein de contradictions. Hearn croyait que le général était essentiellement indifférent à tout ce qui concernait son confort personnel, et cependant il s’entourait de tout le luxe d’usage pour un officier de son rang. Le jour de l’invasion, dès qu’il eut débarqué sur la plage, il s’installa au téléphone et il y resta jusqu’au soir, élaborant son plan de bataille au pied levé pour ainsi dire, et pendant cinq, six, huit heures d’affilée il dirigea les phases préliminaires de la campagne sans prendre une seconde de répit, sans consulter une seule fois la carte, arrêtant ses décisions sans hésiter d’après les maires renseignements que lui communiquaient ses officiers e ligne. C’avait été une remarquable performance, une concentration d’esprit presque fantastique.
Tard dans l’après-midi de ce premier jour Hobart s’était présenté devant Cummings. « Mon général, où désirez-vous que l’on établisse le bivouac du Q. G. ?
– N’importe où, commandant, n’importe où », avait grogné Cummings, en frappante opposition avec la politesse parfaite dont il usait habituellement à l’égard de »es officiers. C’est que dans cet instant la façade s’était écroulée, exposant la bête sauvage occupée à gruger son os. Hearn en avait ressenti une admiration involontaire ; Il n’eût pas été surpris de voir le général dormir sur un lit d’épines.
Mais, deux jours plus tard, quand la première presse de l’invasion se fut calmée, il avait fait déplacer deux fois le bivouac de son Q. G., non sans avoir gentiment réprimandé Hobart, lequel avait fait son choix d’un terrain mal nivelé au gré du général. Sa réputation était bien établie dans le Pacifique du sud ; Hearn, avant son arrivée dans la division, n’avait entendu que des éloges quant à « a stratégie – un tribut de belle taille dans ces régions de l’arrière où les cancans constituaient la meilleure diversion contre l’ennui. Mais le général n’y croyait pas. Une fois ou deux,
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