Les Nus et les Morts
il y avait cette grimaçante attention avec laquelle il observait le déroulement des choses entre lui et le général.
Il revit le général une heure plus tard, sous sa tente. Cummings était seul, étudiant quelque rapport concernant les opérations aériennes. Hearn saisit immédiatement le Nens de l’intérêt que le général apportait à cette étude. Après les deux ou trois premières journées de l’invasion, quand l’on constata l’absence d’une attaque aérienne japonaise sur Anopopéi, il fut décidé en haut lieu de relever l’escadrille de combat qui avait opéré depuis une autre lie, à quelque cent milles de là. Cette escadrille 11e servit pas à grand-chose au général, mais il avait espéré qu’après avoir fait élargir le terrain d’aviation capturé par ses hommes, il pourrait se servir de ce support aérien contre lu ligne Toyaku. Il avait ragé en apprenant que ces avions avaient été divertis pour d’autres opérations, et c’était alors qu’il avait fait sa remarque quant à ses ennemis.
Il était en train d’étudier des rapports concernant le théâtre des opérations aériennes, afin de déterminer s’il n’y avait pas d’avions utilisés à contresens. Chez tout autre homme cette ténacité eût paru une absurde autopunition : mais il n’en était pas ainsi quant au général. Il « liait s’assimiler le moindre fait de ces rapports, en sonder les points faibles, et quand le terrain d’aviation serait prêt et le temps mûr, il aurait en main une suite d’arguments solides puisés dans les rapports mêmes qu’il était §n train d’étudier.
Sans se retourner, il dit par-dessus son épaule : « Vous avez fait joliment l’imbécile aujourd’hui.
– C’est ce que je suppose », dit Hearn en s’asseyant.
Le général fit pivoter sa chaise et regarda pensivement Hearn. « Vous comptiez sur moi pour vous tirer d’affaire. » Il souriait en disant cela, et sa voix était devenue artificielle, légèrement affectée. Il avait de nombreuses façons de parler ; quand il s’adressait aux hommes de troupe il jurait un peu, et sa voix se donnait une intonation moins précise qu’elle n’avait d’ordinaire. Avec ses officiers il prenait toujours une attitude digne et distante, et ses phrases étaient strictement construites. Hearn était le seul à qui il parlât directement, et quand il ne le faisait pas, quand dans sa phrase se glissait l’affectation genre général-en-chef-à-officier-cadet, cela signifiait qu’il était très mécontent. Hearn avait Connu dans le temps un homme qui bégayait chaque fois qu’il disait un mensonge ; à un degré plus subtil, l’accent du général était un indice tout aussi effectif, il était visiblement furieux d’avoir eu à supporter Hearn d’une façon qui allait faire jaser le Q. G. pendant des jours.
« Je crois que c’est cela, mon général. Je m’en suis rendu compte après coup.
– Voulez-vous me dire pourquoi vous vous êtes comporté comme un âne, Robert ? » Toujours l’affectation – presque efféminée. Dès leur première rencontre le général lui avait fait l’impression de ne dire que très rarement ce qu’il pensait, et Hearn n’eut jamais l’occasion de changer d’avis à ce sujet. Il avait connu des hommes qui lui ressemblaient fortuitement : même accent efféminé, même aptitude éventuelle à une extrême rudesse, mais en lui il y avait autre chose encore, plus de complexité, moins de raidissement, moins d’ouverture par où l’atteindre à peu de frais. A première vue son aspect n’était guère différent "de celui des autres généraux en chef. Il était d’une taille légèrement au-dessus de la moyenne, bien en chair, le visage plutôt beau, la peau hâlée, les cheveux grisonnants ; – mais il y avait des différences. Quand il souriait, il ressemblait beaucoup à nombre de sénateurs et d’hommes d’affaires américains, avec leur apparence dure, rougeaude, satisfaite d’elle-même. Mais, lui, il ne gardait pas toujours leur halo de braves types un peu costauds. Il y avait une certaine vacuité dans son visage, la vacuité qui se voit chez les acteurs américains qui jouent les rôles des sénateurs.
Et ses yeux le trahissaient. Des yeux larges, gris, sinistres, pareils à du verre sur une flamme. Il y eut, à Motome, une revue avant l’embarquement des" troupes, et Hearn avait marché derrière le général. Les hommes tremblaient devant
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