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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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une perspicacité un peu tardive que le général avait dû surmonter un grand nombre d’émotions quand il lui avait ordonné de se lever. Il était si difficile d’être certain de ce qui se passait dans sa tête. Durant toute cette conversation Hearn avait été sur sa défensive, pesant ses mots, parlant sans aucune liberté. Et brusquement il se rendit compte que cela était également vrai pour le général.
    « En tant que réactionnaire, vous avez un grand avenir devant vous, dit Cummings, Le malheur est que de mon côté, on ait toujours manqué de penseurs. Je suis une exception, et il y a des moments où je me sens seul. »
    Il y avait toujours cette indéfinissable tension entre eux, pensait Hearn. Leurs paroles n’atteignaient la surface qu’à travers un épais écran, résistant comme l’huile.
    « Vous êtes un sot si vous ne comprenez pas que ceci va être le siècle, peut-être le millénaire, de la réaction. C’est la seule chose que Hitler ait dite, qui ne soit pas complètement hystérique. » De l’autre côté des rabats partiellement écartés de la tente le bivouac s’étalait sur le terrain défriché, cru et miroitant dans le soleil de l’après-midi. La place était presque déserte, la plupart des hommes étant en corvée.
    Cette tension entre lui et le général c’était le général qui l’avait créée, mais il s’y trouvait pris lui aussi. Il tenait à Hearn pourquoi… pour quelles raisons ? Hearn ne le savait pas. Et il se défendait mal contre le magnétisme du général, un magnétisme qui provenait de toutes les données dont était faite sa force : Il avait connu des hommes qui pensaient comme le général ; il en avait même connu qui étaient bien plus profonds. Mais la différence consistait en ce que, fonctionnant dans le vide affairé de la vie américaine, coincés dans les rouages complexes de la calandre, ils ne faisaient rien, ou encore les résultats de leurs actions leur échappaient. Sans cette île où il çon-trôlait tout, le général aurait peut-être fait figure d’un niais. Cette île donnait une assise à tout ce qu’il disait. Aussi longtemps que Hearn restait avec lui il pouvait suivre tout le processus – depuis la naissance d’une pensée jusqu’à sa réalisation tangible et immédiate le jour suivant le mois suivant. Cette sorte de reconnaissance d’autrui était la chose la plus difficile à obtenir, et cela l’intriguait et le fascinait.
    « Que nous soyons dans le Moyen Age d’une ère nouvelle, espérant la renaissance d’un pouvoir réel, cela, Robert, vous pouvez le voir de vos yeux. Dans ce moment-ci j’accomplis une fonction plutôt retirée ; je ne suis, au fait, que le prieur, que le seigneur de ma petite abbaye, pour ainsi dire. »
    Sa voix continuait et continuait, tissant d’un ton de moquerie soutenue la trame de sa toile unique, alors qu’en lui-même la tension fléchissait et se distendait, cherchant son inexorable satisfaction dans tout ce qui se trouvait entre lui et Hearn, entre lui et les cinq mille Japonais, le terrain, le circuit des hasards, qu’il aura fait couler dans son moule.
    LE CHŒUR

LA QUEUE POUR LE RATA
    (La tente du mess est sur une petite falaise qui surmonte la plage. Sur le devant se trouve une table basse, qui supporte quatre ou cinq pots contenant la nourriture. Les troupes défilent en une ligne irrégulière, leur, gamelle à bout de bras. Red, Gallagher, Brown et Wilson sont sur le point de recevoir leur ration, Tout en défilant ils reniflent le mets principal, qui se trouve au fond d’une grande casserole carrée. C’est du singe et de la ratatouille légèrement réchauffée. Le cuistot en second, un bonhomme gras, au visage rouge, à la tonsure au sommet de la tête et à l’air perpétuellement menaçant, flanque une large cuillerée dans la gamelle qu’on lui présente.)
    Red . – Qu’est-ce que c’est comme merde, cette rinçure ?
    Cuistot. – C ’est de la merde de hibou. Qu’est-ce que te penses que c’était ?
    Red . – Si c’est ça, ça va bien, parce que je pensais que c’était quelque chose que je pourrais pas manger. (Rires.)
    Cuistot (bien luné). – Avance, avance, si te veux pas que je te fais pisser le sang.
    Red . – -Viens ici, que je te la donne à sucer.
    Gallagher . – Encore ce foutu rata.
    Cuistot (criant vers les autres cuistots le long de la ligne). – Le soldat Gallagher rouscaille, messieurs.
    Les autres cuistots . –

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