Les Nus et les Morts
Envoie-le au mess des officiers.
Gallagher . – Donne-m’en un peu plus, tu veux ?
Cuistot . – Ces portions sont scientifiquement mesurées par le quartier-maître. Avance !
Gallagher . – Fils de putain, va.
Cuistot . – Va te branler la bite. (Gallagher passe.)
Brown . – Général Cummings, t’es le meilleur nom de Dieu de gars de l’unité.
Cuistot . – Te veux davantage de viande ? Ten auras pas. Y a plus de viande.
Brown. – T ’es le pire des gars de l’unité.
Cuistot (se tournant vers la file). – Soldats, le sergent Brown passe la revue.
Brown . – Repos. En avant arche, arche, (Il passe.)
Wilson . – Peste, vous autres des torpilleurs. Connaissez donc qu’une manière de foutre ce rata ?
Cuistot . – « Quand ça fume, ça cuit ; quand ça brûle, c’est fait. » C ’est notre devise.
Wilson (pouffant). – Je savais bien qu’avez tous un système pour la foutre.
Cuistot . – Te veux pas me la sucer, dis ?
Wilson . – Faudra que t’attends ton tour, petite tête. Y a cinq gars de la section qui viennent avant toi.
Cuistot . – -Parce que c est toi, j’attendrai. Avance, avance. Qu’est-ce que te penses que t’es, pour embouteiller le trafic ?
(Les soldats défilent.)
IV
( Vers la fin du premier mois de la campagne les troupes de première ligne avaient atteint la base de la péninsule. A cinq milles de là s’étendait la chaîne de Watamaï, courant des deux côtés de l’île selon une ligne parallèle à la mer. Sur la gauche de la péninsule la ligne Toyaku dessinait un tracé presque droit, allant des contreforts de la montagne pour aboutir à l’océan. Comme le général l’avait exposé à son état-major, il devait « faire un virage à gauche, quitter l’avenue de la péninsule, et s’engager dans une rue étroite flanquée – au figuré – d’un mur d’usine sur sa droite, d’un fossé (la mer) sur sa gauche, et de Toyaku sur le devant. »
Il exécuta l’opération avec brio. Il dut faire faire à sa ligne de front, finalement stabilisée, un mouvement tournant de quatre-vingt-dix degrés, et cela de telle sorte que le flanc gauche, ancré aux approches de la mer, n’eût à se déplacer que d’un demi-mille environ, tandis que le flanc droit, exposé tout au long de sa marche, eût à par (courir un arc de six milles en pleine jungle.
Il eut à choisir entre deux projets. Le plan le moins hasardeux eût été de faire s’avancer jusqu’au pied de la montagne le bataillon qui formait le flanc droit ; une ligne temporaire aurait pu dès lors être établie, suivant une diagonale dont l’aile droite, en rasant les contreforts, aurait peu à peu atteint les défenses Toyaku. Mais cette manœuvre aurait pris plusieurs jours, une semaine peut-être, et elle se serait probablement heurtée à une vive résistance. L’autre projet, bien plus dangereux, consistait à lancer le flanc droit directement sur le point de jonction de la montagne et de la ligne Toyaku. De cette manière l’ensemble du front aurait pivoté en un seul jour.
C’était une manœuvre très dangereuse. Tout au long du jour le flanc droit se trouverait exposé, car il était évident que Toyaku le ferait contourner pour l’attaquer sur ses arrières. Le général prit ses risques et tourna la situation à son avantage. Le jour de l’opération il fit prélever au chantier de la route un bataillon dont il constitua sa masse de réserve, et donna ordre aux commandants des compagnies de son flanc droit d’avoir à pousser à travers la jungle sans se préoccuper de leurs arrières. Leur mission devait consister à parcourir les six milles du no man’s land et à se retrancher pour la nuit au pied de la montagne, à un mille des avant-postes de la ligne Toyaku.
Il avait spéculé correctement. Comme prévu, Toyaku fil passer en tapinois une compagnie de ses troupes derrière la colonne en mouvement, mais Cummings lui opposa son bataillon de réserve et l’encercla presque entièrement. Une bataille extrêmement confuse eut lieu sur les arrières de la ligne nouvellement établie. Cependant, au bout de plusieurs jours le gros de la compagnie japonaise, exception faite de quelques traînards, avait été exterminé. Il restait bien quelques tireurs dans le dos de la division, et une fois ou deux un convoi de ravitaillement était tombé dans une embuscade, mais c’étaient là des incidents négligeables qui n’inquiétaient guère le général,
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