Les Nus et les Morts
peux peut-être avoir peur moi aussi, je peux peut-être perdre la boule, mais au moins je fais mon boulot et mon devoir de sergent. Y a pas de tire-au-flanc qui tient quand il s’agit de faire ce qu’il faut. Un gars doit faire sa part de boulot, prendre ses responsabilités, et alors il reçoit son dû. Roth, je l’ai à l’œil depuis le premier jour, Roth. Il vaut pas cher. C’est un fainéant, un pas débrouillard, un qui s’intéresse à rien. Je déteste ces aristos qui bisquent parce que les voilà dans le coup pour une fois. Merde, et nous autres alors qu’on est sur la brèche depuis deux ans et Dieu sait
Pour combien de temps encore ? Nous on était dans la bagarre pendant qu’eux ils baisaient leurs femmes, et peut-être aussi les nôtres. »
Il changea de place avec hargne, cherchant à s’accommoder sur les caisses de munitions, regarda la jungle, frotta sa main sur son nez court et camus. « Oui, et nous autres alors, assis dans les trous pouilleux, sous la flotte, avec la colique au bide à cause de ces sacrés bruits, pendant que ces femmes là-bas se la coulent douce ? J’aurais dû m’en douter, en me mariant avec une salope de garce comme la mienne. Même du temps qu’on était à l’école, dès qu’elle voyait un pantalon elle s’y frottait. Je sais bien maintenant, va. Je sais que c’est une connerie d’épouser une fille juste à cause qu’on peut pas se l’envoyer autrement. C’est comme ça qu’elle m’a eu, et même aujourd’hui je sais pas si qu’elle était pucelle. Ça existe plus, une femme qu’est propre et décente. Quand y a ta propre sœur qui vient vous dire que c’est pas tes oignons si qu’elle se dévergonde pendant que son mari il est en voyage, eh bien, oui il est temps de voir clair. Y a pas une seule à qui on peut faire confiance si on lui tourne le dos. Combien des fois que je me suis envoyé des femmes mariées, des mères de famille. C’est dégoûtant, ce qu’elles font toutes. »
Il enleva le fusil de ses genoux et l’appuya contre la mitrailleuse. « Comme si c’était pas assez moche avec tout ce qu’on a ici pour se faire de la bile, des gars comme ce foutre de Roth qui s’endort quand il est de garde, des corvées qu’il faut surveiller pour qu’un homme il travaille pas plus que sa part, des pensées où qu’on se demande tout le temps si c’est aujourd’hui le jour qu’on sera amoché, des idées que quand on sera à l’hosto la femme elle aura la décence de tenir ses jambes fermées, et puis non, y en a pas une qui vaut une crotte de bique. Oui, pendant qu’on est là nous autres à se crever la peau dans le métier militaire que c’en est dégueulasse – et puis nom de Dieu qu’est-ce qu’on peut faire d’autre ? Je devrais plus y penser parce que ça vous enlève la confiance en soi et que je me sentirais plus fort, mais comment faire sans ces garces de femmes et rien d’autre à quoi penser. Tous on y pense, c’est sûr.
« Et juste maintenant qu’est-ce qu’elle fait ? Juste maintenant elle est probablement au pieu avec un gars et ils s’imaginent ce qu’ils yont faire avec les dix mille dollars qu’ils toucheront quand je casserai ma pipe. Eh bien je m’en vais leur jouer un tour, je vais pas être tué dans cette sacrée guerre, et puis je m’en vais t’envoyer dinguer ma femme, et puis je m’en vais enlever le gros lot. Va y avoir des tas de moyens -de faire du fric après la guerre pour des gars qu’ont pas peur de mettre la main â la pâte, et j’ai pas peur. Tous ici ils disent que je suis un bon sergent. Je suis peut-être pas aussi bon éclaireur que Martinez et j’ai peut-être pas ae la glace dans mes veines comme Croft, mais je suis régulier et je prends mon boulot au sérieux. Je suis pas comme Red qui pense jamais qu’à tirer au flanc ou à trouver des combines au lieu de bosser, je fais vraiment tout ce que je peux pour être un bon sergent parce que si tu réussis dans le métier militaire y a pas une place au monde où c’est que tu réussiras pas. Si t’as une chose à faire tu peux aussi bien la faire comme il faut, voilà ce que je pense. »
L’artillerie se mit à tirer sans interruption pendant plusieurs minutes, et il écouta la canonnade avec une attention soutenue. « Les copains y prennent pour leur compte, se dit-il. C’est sûr et certain. Les Japonais attaquent, et les gars de la section ils sont juste au milieu e la bagarre. C’est pas une
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