Les Nus et les Morts
juron.
« Qu’est-ce qu’y a, petit, t’es pressé ? demanda Wilson avec douceur.
– On fera aussi bien d’arriver où c’est qu’on va. »
Ils restèrent sur place pendant plusieurs minutes, puis l’avance reprit. Une batterie, qu’ils venaient de doubler, faisait feu, et une autre, à quelques milles de là, était également entrée en action. Les obus sifflaient par-dessus le convoi, et les hommes écoutaient dans un silence morose. Une mitrailleuse se mit à tirer au loin, renvoyant l’écho de ses salves, – profonde et creuse sonorité d’un tapis qu’on bat. Martinez enleva son casque et se pétrit le crâne, sentant un marteau cogner dans sa tête. Un canon japonais entra en jeu, avec un cri aigu et pénétrant. Il y eut un flamboiement à l’horizon, et les hommes purent s’apercevoir les uns les autres. Leurs faces leur parurent blanches, puis bleues, comme s’ils s’étaient vus à travers une pièce sombre emplie de fumée. « On approche », dit quelqu’un. Quand le flamboiement se fut éteint ils virent une brume pâle à l’horizon et Toglio dit : « Quelque chose brûle.
– On dirait que ça chauffe dur, suggéra Wyman à Red.
– Nix, ils se tâtent les uns les autres, dit Red. Va v avoir bien plus de ce tonnerre de bruit si ça démarre vraiment. » Des mitrailleuses crépitèrent, puis se turent. Des mortiers atterrissaient quelque part avec un son plat et mat, et une autre mitrailleuse, bien plus loin, se mit à tirer de nouveau. Puis il y eut un silence. Les camions avançaient sur la route noire et boueuse.
Au bout de quelques minutes ils s’arrêtèrent une fois de plus. Quelqu’un, à l’arrière du camion, alluma une cigarette. « Eteins-moi ça », aboya Croft.
Le soldat, qui faisait partie d’une autre section, renvoya la balle. « Qui que t’es, toi ? J’en ai marre de poireauter.
– Eteins-moi ça », répéta Croft. Après une pause le soldat moucha sa cigarette. Croft se sentait irritable et nerveux. Il n’avait pas peur, mais il était impatient et sur le qui-vive.
Red se demanda s’il allait allumer une cigarette à son tour. Lui et Croft avaient à peine échangé quelques mots depuis leur querelle sur la plage, et il était tenté de le défier. Au fait, il savait qu’il ne le ferait pas, et il essayait de comprendre si c était parce qu’il ne fallait pas fumer, ou parce qu’il avait peur de Croît. < Merde, se dit-il. Je l’aurai quand il sera temps, ce fils de putain, et je suis vachement sûr d’avoir le dessus. »
L’avance reprit de nouveau. Au bout de quelques minutes ils entendirent des voix étouffées qui venaient de la route, puis leur camion tourna et descendit en se dandinant dans un passage perdu sous la vase. Le chemin était très étroit, et une branche d’arbre fouailla le camion. « Attention ! » cria quelqu’un. Tous s’aplatirent. " Red retira des feuilles qui s’étaient prises dans sa chemise, se piqua une épine dans le doigt. Il s’essuya la main sur son pantalon et se mit à la recherche de son barda, qu’il avait jeté dans le camion au moment de s’y embarquer. Ses jambes étaient engourdies, et il s’efforçait de les assouplir.
« Descendez pas avant qu’on vous dit », fit Croft.
Les camions s’arrêtèrent. Ils entendaient des hommes qui circulaient dans le noir. Tout était terriblement calme. Accroupis dans le camion, ils chuchotaient. Un officier frappa sur le panneau arrière. « Très bien, descendez et tenez-vous ensemble », dit-il. Ils commencèrent à sauter du camion, lents et incertains. Il fallait se laisser tomber de cinq pieds de haut, et ils ignoraient l’état du sol où ils devaient atterrir. « Baissez le panneau », fit quelqu’un, et l’officier aboya : « Ça va, les gars. Silence ! »
Quand ils eurent tous débarqué, ils attendirent sur place. Les camions remontaient sur la route pour un autre voyage. « Est-ce qu’il y a un officier ici ? » demanda l’officier.
Quelques hommes rirent sous cape. « Silence, taisez-vous, dit l’officier. Que les sergents des sections s’avancent. »
Croft et le sergent de la section Pioneer et Demolition s’avancèrent. « La plupart de mes hommes sont dans un autre camion », fit celui-ci. L’officier lui dit de rassembler ses hommes. Croft lui parla à voix basse pendant une bonne minute, puis dit aux siens : « Faut attendre. Allons nous mettre sous cet arbre. » Il y avait tout
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