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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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premières patrouilles, et il s’y conformait instinctivement.
    Une paisible fierté occupait une partie de ses pensées : il était celui dont dépendait la sécurité de l’escouade. Fortifiante idée, qui le soutenait au milieu des dangers devant lesquels sa volonté et son corps eussent fléchi. Au cours de la marche avec les canons antichars il avait été bien des fois sur le point d’abandonner ; contrairement à Croft, il n’avait mis aucun orgueil dans l’accomplissement de cette besogne. Il eût parfaitement consenti à reconnaître que la tâche dépassait ses forces, mais il y avait cette partie de son être qui l’entraînait à faire des choses qu’il craignait et détestait. Sa fierté d’être sergent constituait le noyau autour duquel évoluaient la plupart de ses actes et de ses pensées. « Personne voit dans le noir comme Martinez », se dit-il. Il écarta une branche de son bras étendu et, pliant avec aisance sur ses genoux, il passa sous l’obstacle. Ses pieds étaient endoloris et ses épaules et son dos lui faisaient mal, mais c’étaient là des maux dont il ne se préoccupait plus ; il menait son escouade, et c’était bien suffisant en soi.
    L’escouade s’étirait derrière lui, et chacun des hommes qui la composaient éprouvait toutes sortes d’émotions. Wilson et Toglio avaient sommeil. Red, sur le qui-vive, broyait du noir : il avait un mauvais pressentiment. Gold-tv in se sentait misérable et amer ; l’effort de se traîner le long d’une piste dans les heures noires du petit matin, le rendait maussade et triste. Il se voyait mourant, sans ami pour le pleurer. Wyman avait perdu la force de récupérer ; il avançait péniblement, dans un état de stupeur, indifférent à ce qui allait lui arriver. Ridges était las et patient ; il ne pensait pas à ce que les heures à venir allaient lui apporter, et il ne s’abîmait pas davantage dans la contemplation de ses membres endoloris ; simplement, il avançait, et son esprit flottait au gré d’un courant paresseux.
    Et Croft, Croft était tendu et passionné et impatient. Toute la nuit il avait pesté contre la corvée qui échut à son escouade. Les bruits de la bataille n’avaient pas cessé de l’exciter. Son esprit s’exaltait au ressouvenir de ses pensées lors de la mort d’Hennessey. Il se sentait fort et sans fatigue et capable de n’importe quoi ; ses muscles étaient aussi éreintés que ceux de n’importe lequel de ses hommes, mais il avait abstrait son esprit de son corps. Il était affamé de la dure et rapide pulsation qu’il ressentirait dans sa gorge après avoir tué un homme.
    Sur les cartes un demi-mille seulement séparait le premier bataillon de la compagnie A, mais la piste faisait tant de crochets et de virages que la distance effective était d’un bon mille. Les hommes étaient devenus maladroits, et leur pas se faisait incertain. Leurs sacs s’affaissaient, les fusils glissaient de leurs épaules. La piste était informe ; originellement une voie de gibier, elle avait été partiellement élargie, mais par endroits elle était restée en l’état. On ne pouvait y marcher sans s’écorcher aux branches qui dépassaient des deux côtés. La jungle y était impénétrable, et il eût fallu une heure pour se tailler un chemin de cent pieds en dehors de la piste. Il était impossible d’y voir quoi que ce soit dans la nuit, et l’exhalaison du feuillage mouillé était suffocante. Les hommes devaient marcher à la queue-leu-leu, les uns sur les talons des autres. A trois pieds de distance ils se perdaient de vue, et ils avançaient lourdement en s’agrippant à la chemise de leur voisin. Martinez, qui les entendait, pouvait
    Juger de leur éloignement : ils trébuchaient et se télescopaient comme des enfants qui jouent dans le noir. Ils se courbaient presque en deux, et ils en souffraient cruellement. Leurs corps se décomposaient ; ayant mangé et dormi à contresens depuis nombre d’heures, ils lâchaient des gaz dont l’odeur devenait nauséabonde dans l’air vicié. Les hommes en queue souffraient le plus ; ils se couvraient la bouche et juraient, retenaient leur respiration, frissonnaient de fatigue et d’écœurement. Gallagher, qui se trouvait au bout de la colonne, toussait de temps à autre, et blasphémait. « Arrêtez de péter, sacré nom de Dieu ! criait-il, et les hommes devant se redressaient un peu et riaient.
    – Tu bouffes du caca, hein, petite

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