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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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gaspillé ses opportunités. Ces Japonais couvent leurs campagnes ; ils s’agitent tout en restant sur leur cul, et quand la tension devient trop grande ils explosent. C’est un paradoxe fascinant. Ils cultivent un jeu qui leur est particulier, un jeu fait d’activité fiévreuse, de flancs contournés, d’encerclements, et lorsqu’ils en viennent à combattre ils agissent comme des animaux blessés qui rugissent bêtement sous la piqûre des mouches. Ce n’est pas une façon de s’y prendre. Dès lors que vous prenez d’inutiles précautions, que vous postez des hommes à garder des secteurs qui se passeraient de garde, que vous maintenez vos troupes dans une oisiveté que leur besoin de repos ne justifie pas, vous avez agi, en tant que commandant, d’une maniéré immorale. Mieux vous saurez éviter les doubles emplois et le gaspillage de vos efforts, plus grande sera la pression que vous exercerez sur votre adversaire. Plus grandes seront aussi les chances qui se présenteront à vous. »
    Le second jour après la bataille, en conformité avec ses théories, il détacha une partie de ses troupes à la reconstruction du bivouac. Les tentes furent érigées de nouveau, celle du général eut un plancher de caillebotis, et le gravier joncha les chemins dans la partie du camp réservée aux officiers. Leur mess, mieux situé que sur la plage, fut encore amélioré après l’orage par l’addition de faîtières de bambou qui maintenaient les murs droits. Il y eut un arrivage de viande fraîche, que l’on distribua en rations égales dans la compagnie (l’état-major : une moitié pour les cent quatre-vingts hommes de troupe que comptait pour lors le bivouac du général, l’autre moitié pour lès trente-huit officiers. Le réfrigérateur électrique du général fut déballé et branché sur le générateur qui alimentait le camp.
    Hearn était écœuré. Une fois de plus il se sentait désarçonné par une de ces petites énigmes qu’offrait l’attitude du général. L’affaire de viande fraîche constituait une injustice flagrante, dont Hobart, en sa qualité de commandant en charge du ravitaillement, eût été fort capable. Mais Hobart n y était pour rien. Hearn se trouvait sous la tente du général quand, le sourire aux lèvres, Hobart s’y présenta pour annoncer l’arrivage à Cummings. Celui-ci haussa les épaules, puis fit une suggestion fort claire quant à la manière dont la distribution devait se faire. C’était incroyable. Son indéniable perspicacité aurait dû l’avertir des effets qu’une telle disposition pouvait avoir sur les hommes de troupe, et cependant il avait méconnu le ressentiment qui allait en résulter. Il n’avait pas agi de la sorte pour satisfaire sa gloutonnerie car Hearn le vit par la suite manger de cette viande sans y prendre trop de goût, et d’ailleurs il laissait presque toujours son assiette à moitié pleine. Son geste n’était pas davantage imputable à la distraction : il était fort conscient de ce qu’il faisait. Hearn considérait que le général avait agi délibérément. Après le départ d’Hobart, Cummings l’avait dévisagé d’un regard absent, ses grands yeux gris tout à fait sans expression, puis, inexplicablement, il lui fit un clin d’œil. « Faut que je pense à votre bonheur, Robert. Si les repas sont meilleurs, peut-être vous laisserez-vous moins aller à vos humeurs.
    – C’est très aimable à vous, mon général. » Et lui, le général, rugissant soudain sous l’effet d’une bizarre allégresse, laissa échapper une cascade de petits rires qui allèrent s’enflant jusqu’au paroxysme, et qui finirent par le rasseoir tout roide sur sa chaise où il se mit à pousser un graillon dans son mouchoir de soie brodé d’un monogramme.
    « Je crois qu’il est temps de monter une tente où les officiers pourront, le soir venu, trouver un délassement, dit-il à la fin. Vous n’êtes pas trop pris pour le moment, Robert. Aussi je vous confierai cette tâche. »
    Une drôle de tâche dont Hearn ne comprit que plus tard la signification. Il dit au sergent-chef de la compagnie d’état-major de lui donner une équipe d’hommes, les employa à nettoyer une pièce de terrain de ses herbes et racines, à la couvrir de gravier, à y faire ériger une tente d’escouade, à creuser autour de celle-ci une profonde tranchée pour l’écoulement des eaux de pluie. Il fit aménager une double entrée dans la tente et

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