Les Origines et la Jeunesse de Lamartine 1790-1812
frère, mes amis ! je ne puis pas être indifférent et froid sur tant d'objets chéris...
Tu me conseilles de vendre mes fonds ; je sais très bien que je me donnerais par là de l'aisance, mais je vois aussi qu'elle ne pourrait être que momentanée. Je t'ai déjà observé sur cela que je ne trouverais en ce moment ni placement, ni emploi qui me donne sûreté et aisance ; agioter n'est pas mon fait ; placer en rentes ou obligations, rien de plus fragile ; acquérir d'autres immeubles, rien à gagner dans ces revirements ; les biens patrimoniaux se vendent à deux pour cent, j'achèterais comme j'aurais vendu.
Je conclus pour attendre que le mal soit instant ou que l'on sache mieux sur quoi compter. Tu vois comme moi que les Révolutions opèrent rarement un mieux-être. Actuellement nous sommes à peu près maîtres de nos âmes et de nos sentiments ; cela seul est à notre direction.
Dans une autre lettre encore, du 16 avril, il apparaît toujours plus tourmenté des autres que de lui même et moins hostile qu'on n'aurait pu le prévoir aux événements du moment :
Le mystère sur ce qui se passe à Lyon, m'inquiète beaucoup ; je tremble pour les parents et les amis, hélas ! pour tout le monde, car je tiens à l'humanité et à mon pays. Paris est pour le moment assez tranquille, mais l'on semble craindre la disette du pain. Il y a foule chez les boulangers, on s'y étouffe pour parvenir à s'y approvisionner. Le vrai malheur ou du moins le pire de tous est la division qui règne dans la Convention ; elle est, par ses scandaleuses dissensions, distraite du bien ou dans l'impossibilité de l'opérer ; sa considération s'affaiblit et le désordre s'accroît ; cependant, cette Convention, toute orageuse qu'elle est, forme le seul lien, le seul pivot sur lequel tout roule. Le vaisseau s'abîme si le pilote lui manque en ce moment de crise.
Il cessa pourtant bientôt de lui faire crédit et c'est très désabusé qu'il écrivait le 22 août 1795 :
Sûreté personnelle et du pain : ces biens n'ont heureusement pas cessé d'exister ici, mais la mauvaise santé de quelques-uns de ceux qui m'entourent et les inquiétudes et les misères publiques et trop universelles ont toujours écarté de moi la gaieté.
Il serait bien temps que nous aperçussions quelqu'étincelle du bonheur que la Révolution nous a tant présagé ; Dieu veuille que la nouvelle Constitution qu'on nous prépare en jette enfin des fondements plus solides que ne l'ont été ceux des précédentes.
Le calme rétabli, Jean-Louis Des Roys et sa femme se retrouvèrent à nouveau dans leur propriété de Rieux où ils s'apprêtaient à finir paisiblement leurs jours lorsque la duchesse d'Orléans vint mettre une fois de plus leur dévouement à l'épreuve. La princesse, transférée à la pension du docteur Belhomme après le 9 thermidor, essayait de s'y faire oublier, lorsque le 6 septembre 1797 le gouvernement décida la mise en vigueur d'un décret du 21 prairial an III, ordonnant l'expulsion immédiate de tous les membres de la famille de Bourbon et la confiscation de leurs biens. Elle se mit en route pour l'Espagne et écrivit de Barcelone une lettre à Mme Des Roys en la priant d'aller jusqu'en Hongrie chercher sa fille, la princesse Adélaïde, pour la ramener près d'elle. La jeune fille, émigrée dès 1791 avec Mme de Genlis, avait été abandonnée par elle à l'étranger pendant que Félicité voyant la cause royale perdue, gagnait Hambourg où elle se rendait vite insupportable à tous les Français par son hypocrisie et ses calomnies.
Heureuse de pouvoir prouver une dernière fois son dévouement à ses anciens maîtres, la vieille Mme Des Roys se mit en route à la fin de décembre 1799 et, après un long et pénible voyage qui dura près de deux ans et demi, elle accomplit heureusement sa mission. Forcées d'éviter la France interdite à la princesse Adélaïde, les deux femmes avaient dû descendre de Hongrie en Italie, où elles s'embarquèrent à Livourne ; le 12 avril 1802, on lit dans le Journal intime :
J'ai reçu une lettre de ma mère qui m'annonce enfin son arrivée à Barcelone ; elle a éprouvé beaucoup d'événements, entre autres une tempête dans la traversée de Livourne en Espagne, qui a duré trois jours et deux nuits ; l'entrevue de Mme d'Orléans et de sa fille a été des plus touchantes, il y avait onze ans qu'elles étaient séparées.
La princesse Adélaïde n'oublia pas cet admirable
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