Les panzers de la mort
nous comme des loups.
Boitant, butant, gémissant, il fallait nous frayer un chemin dans une neige d’un mètre de haut, une neige qui vous aspirait à chaque pas. Au bout de quelques mètres, des hommes se laissaient tomber sur le sol avec des larmes de désespoir et refusaient d’avancer. Les coups de crosse pleuvaient dru, pour les ramener derrière la colonne qui progressait avec une peine infinie et qui ressemblait à un cortège de petites fourmis noires dans le grand paysage de neige.
Nous arrivâmes exténués dans un kolkhose. au sud de Dzhurzhenzy, où se trouvaient déjà cinq compagnies, et dépouillant rapidement capotes et bardas, nous nous laissâmes tomber sur la paille pour avoir un peu de repos. Mais voila qu’un coup de feu éclate au-dehors, suivi de rafales de mitraillettes russes, puis des cris, des appels :
– Ivan ! Ivan ! alerte !… hurlent les sentinelles qui accourent dans l’abri poursuivies par l’ennemi, lequel surgit de partout.
– Dehors ! crie Alte qui saisit son revolver et se précipite sans capote et tête nue hors de l’abri.
Nous nous levons en désordre. Pluto qui s’épouillait, sort vêtu de son pantalon et de ses bottes mais sa mitraillette au poing. Il fait en courant le tour de la maison et se trouve nez à nez avec trois Russes, qui se collent à lui, couteaux levés. Mugissant comme un taureau, Pluto rue et mord ; un des Russes file sur le ventre, par terre comme un traîneau ; les deux autres,. pris à la gorge volent à plusieurs mètres de là ; l’un d’eux à la poitrine ouverte d’une de mes salves et l’autre retombe avec le couteau de Pluto dans le côté. Petit-Frère brandit son sabre de cosaque, aux va-et-vient terribles car Il est aiguisé des deux côtés.
Au bout de deux heures, l’attaque était repoussée mais nous avions perdu un tiers de la compagnie, et de nouveau, Il fallut repartir dans le désespoir de cette neige.
Le groupe de combat allait lentement mais sûrement au-devant de son extermination, jonchant le désert immaculé de cadavres gelés, autour desquels la neige s’accumulait en blancs tumuli. Le village de Dzhurzhenzy est un endroit abandonné de Dieu et des hommes, où se trouve, en son extrémité nord, un kolkhose et une ligne de chemin de fer.
Il fallut conquérir chaque caillou, tuer un à un ces tirailleurs sibériens dont aucun ne se rendit ni ne plia d’un centimètre dans la lutte. Là tomba Möller, notre saint homme. Il mourut entre Porta et Petit-Frère, derrière un tas de traverses de chemin de fer, et par une ironie du sort, ce fut Porta qui récita sur lui une dernière prière. Nous jetâmes un peu de neige sur son corps avant de continuer notre marche au trépas.
Nous étions tous tellement à bout de forces que nous ne pouvions même plus arracher au sommeil ceux de nos camarades qui se couchaient dans la neige et nous les laissions s’endormir dans les bras de la mort. Aveuglés par les flocons, pleurant de fatigue et de douleur, à moitié gelés nous arrivâmes à quelque chose qui ressemblait à un chemin, parce qu’une longue rangée de poteaux télégraphiques le balisait.
Alors, tout à coup, surgirent devant nous un, deux, trois, quatre chars… Mon Dieu ! cinq…, non, bien davantage… des chars qui sortaient de la tourmente de neige, tourelles ouvertes et leurs commandants d’unité debout s’efforçant de percer le Rideau blanc qui nous fouettait.
Épuisés, muets, nous sombrons dans la neige, regardant avec terreur les colosses d’acier qui grondent, leurs longs canons sortant comme des doigts vengeurs braqués vers nous.
Le feldwebel Kraus, du 104 e tirailleurs, se dressa pour aller vers eux, mais Alte eut tout juste le temps de le rejeter sur le sol.
– Attention ! ça doit être Ivan. Des KW je crois !
– Ah mon Dieu ! dit Porta, les Russes ! Ils ont des étoiles sur les voitures.
Avant tout n’être pas vus ! Nous grattons la neige avec tout ce que nous trouvons pour nous enterrer. Quinze T 34 et quatre gros KW 2 défilent sous nos yeux angoissés, et disparaissent comme des ombres dans la tourmente, mais peut-être y en a-t-Il d’autres invisibles par cette neige… Et d’un seul coup, nous réalisons l’horreur de la situation : les Russes se dirigent vers Lyssenka, où toute notre division blindée est rassemblée pour nous aider à sortir de cette poche ! Le capitaine von Barring décide aussitôt d’obliquer vers l’ouest pour prévenir
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