Les panzers de la mort

une bagatelle.
    Notre groupe partit en reconnaissance dans le bois, cigarette au bec, nos armes jetées négligemment sur l’épaule et devisant de telle façon que nos palabres devaient s’entendre à un kilomètre de là.
    Porta réclama impérieusement un petit temps de repos.
    – La guerre nous attendra, croyez-moi, même si on s’arrête un instant.
    – Bon, dit Alte, d’ailleurs Il ne doit pas y avoir de Russes dans ce bois. On les aurait vus depuis longtemps.
    Nous nous serrâmes tous les douze sur un chablis comme des hirondelles sur un fil téléphonique et tout aussi insouciants qu’elles. L’idée que l’ennemi pouvait se trouver à deux pas et nous descendre à la mitraillette ne nous effleura même pas. Porta se mit à évoquer encore une fois son plat préféré, la purée de pommes de terre aux lardons et crut devoir nous en expliquer la fabrication.
    – Avant tout, dit-il, c’est que ce plat divin doit être fait avec amour – Il gesticulait en insistant sur amour – car, si on n’y met pas de sentiment, ce n’est pas la peine d’essayer !
    – Attends un peu, Porta, interrompit Petit-Frère, je voudrais écrire ta recette.
    IL demanda à Stege un Crayon et du papier, mouilla le Crayon, s’étendit sur le ventre et fit signe à Porta de continuer.
    – Donc, on prend quelques belles pommes de terre qu’on s’arrange pour voler dans nue cave ou ailleurs et on les épluche en ôtant le gâté, s’il y en a.
    – Que peut-il y avoir de gâté dans une pomme de terre ? dit Petit-Frère.
    – Fais comme je dis, et pour le reste, ferme-la. Vous laissez tomber chaque patate dans un seau de merveilleuse eau claire, fraîche comme le clapotis d’un petit ruisseau.
    – Ma parole, mais tu es poète ! dit Alte en Riant.
    Porta plissa une paupière : – Qu’est-ce que c’est poète ? Ça a à voir avec mauvais garçon ?
    Alte rit de plus belle : – C’est possible qu’il y ait des poètes parmi les mauvais garçons, mais ce n’est pas à cela que je pensais. Continue va !
    – Vous faites cuire les pommes de terre, vous les écrasez correctement en purée et maintenant, écoutez tous, c’est le principal : allez dans un champ ou vous avez remarqué la présence de bêtes à cornes, choisissez une femelle et tirez un bol de lait que vous versez dans la purée. Mais pour l’amour de Dieu, n’allez pas vous tromper et ne prenez pas une ânesse pour une vache ! Je dois vous avertir que le lait d’ânesse sert à prendre des bains.
    – Quelle horreur ! fit Petit-Frère, un bain dans l’eau c’est déjà moche, mais dans du lait ! Tu mens, Porta, où as-tu pris ça ?
    – L’ai lu, fils. Une histoire de garce en Italie, même qu’on l’appelait Poppée. Donc, pas de lait d’ânesse, mais du vrai lait de vache que vous tournez gentiment dans la purée, puis du sel mais toujours avec du sentiment. Et continuez à tourner avec la cuiller en bois, ou si vous n’en avez pas avec une baïonnette, essuyée avant naturellement ! Quand c’est fait, vous volez dix œufs que vous battez avec du sucre. Le sucre, vous le barbotez à l’intendance par une nuit un peu noire. Quand tout est bien battu, vous versez dans la purée, mais pour l’amour de Dieu, lentement, lentement…
    – Pourquoi lentement ? dit Petit-Frère.
    – Fais comme je dis et finis de m’interrompre. Vous cuisez le tout à feu doux… Quoi encore ? dit-il impatienté à Petit-Frère.
    – Je demande si, pour le feu, on peut prendre du bois de hêtre trempé dans l’essence à Hitler ?
    – Bien sûr !
    Petit-Frère se recoucha et continua à écrire d’une grosse écriture enfantine en tirant une langue appliquée.
    – Le lard se fait brunir sur des braises de hêtre ; vous le coupez [en [petits cubes que vous glissez dans le feu, mais tout ça doit être fait consciencieusement et d’une manière bien catholique.
    – Alors maintenant, Il faut être catholique pour avoir une purée de pommes de terre ?
    – Absolument, dit Porta. C’est convenu depuis les guerres de religion.
    – Bien, bien, répondit Petit-Frère, j’en dégotterai un pour la faire.
    – Enfin, continua Porta, avec un sourire enchanteur, mettez un peu d’ail dans la purée. Du paprika ou une douille à demi pleine de poivre ne font pas mal non plus. Prenez garde, au nom du ciel, à ne pas laisser trop longtemps sur le feu ce régal des dieux et pour le manger, Rincez d’abord votre cuiller, car ce