Les pièges du désir
et vous. Vous n’aurez plus besoin d’accepter un seul shilling de Tranville. Dites-lui d’aller au diable !
Elle soutint tranquillement son regard.
– Voilà ce que je ne ferai certainement pas !
– Pourquoi non ? Je vous promets que je prendrai soin de vous.
Elle reprit posément sa couture.
– Oh, je suis bien sûre que tu connaîtras le succès, mon fils. Malgré cela, je n’éconduirai pas Lionel.
Jack se releva.
– Il vous a bien éconduite, lui. Et de la plus insultante des manières.
Mme Vernon leva de nouveau les yeux vers lui.
– Je n’ai pas à te donner d’explication et n’en ai pas la moindre intention. Sache seulement que je ne changerai rien à mon arrangement avec Lionel.
Il perdait son temps. Sa mère devenait sourde et aveugle dès qu’il s’agissait de Tranville.
– Veux-tu prendre quelque chose ? proposa-t–elle, rompant le silence. Je peux faire apporter du thé et des biscuits. Et bien sûr, nous serions ravies de t’avoir à dîner ce soir.
Il secoua la tête. Rester assis à table et faire comme s’il ne s’était rien passé ce jour-là était au-dessus de ses forces.
– Ne m’attendez pas, j’ai du travail.
Elle eut un léger sourire.
– Tu seras le bienvenu si tu changes d’avis.
Il se pencha pour l’embrasser.
– Je dois y aller.
Elle lui tapota la joue, mais on voyait bien qu’elle retenait ses larmes.
– J’espère que nous vous verrons demain, mon chéri.
Jack regagna son studio d’un bon pas, fouetté par le vent froid de l’hiver. Une fois chez lui, il s’appuya contre la porte et ferma les yeux, obsédé par la vision de Tranville passant du lit de sa mère à celui d’Ariana.
– Au diable ! Qu’est-ce que cela peut me faire ?
Jetant ses gants et son chapeau, il traversa la pièce en direction du bureau où il rangeait son papier. Il en tira plusieurs feuilles, prit un morceau de fusain et se mit à dessiner.
Le visage qui naquit sous ses doigts était celui d’Ariana.
Chapitre 4
Assise devant le miroir, Ariana appliquait du rouge sur ses pommettes et du khôl sur ses paupières, accentuant ses traits pour qu’on puisse les distinguer même des places les plus éloignées de la scène. Les portes de la loge étaient grandes ouvertes, afin de permettre aux actrices d’entendre le signal d’entrée en scène. Dans une demi-heure, le rideau se lèverait sur Roméo et Juliette , et l’habituel tohu-bohu régnait dans les coulisses. Les gens se hélaient, on déplaçait des éléments de décor. Les comédiens et les danseurs de ballet qui divertissaient le public entre deux actes couraient de tous côtés, plus ou moins dévêtus.
Ariana adorait cette agitation. Elle préférait de beaucoup être au milieu des autres que de s’enfermer en haut, dans la loge privée réservée aux têtes d’affiche. C’était sa mère qui en avait revendiqué l’usage et elle le lui avait abandonné volontiers. Le tapage des coulisses la dynamisait.
Le reflet de Daphné Blane apparut derrière elle dans le miroir. Déjà vêtue en lady Capulet – un rôle comparativement mineur −, sa mère la fusilla du regard.
– As-tu perdu l’esprit ?
– Que veux-tu dire, maman ?
Daphné fit un geste dramatique en direction d’un invisible tiers.
– Lord Tranville finance une pièce entière, paie pour faire brosser ton portrait, et tu refuses qu’il t’escorte ! Tu n’as même pas voulu marcher dans la rue avec lui.
Ariana lui jeta un coup d’œil dans la glace.
– Je croyais que cet investissement financier était censé profiter au théâtre… pas à la vanité du monsieur !
Daphné leva les bras au ciel.
– Alors tu es encore plus stupide que je ne pensais !
Pas si stupide, songea Ariana. Elle savait parfaitement ce que Tranville avait espéré acheter avec tout cet argent. Mais même si les intentions du baron avaient été purement courtoises, elle n’aurait pas accepté volontiers sa compagnie. Elle préférait être seule avec Jack Vernon. Elle aimait l’intimité qui se créait ainsi et ne souhaitait pas de témoin à ces séances.
Le souffle court, elle l’imagina promenant longuement sur elle ses étranges yeux mordorés avant de retranscrire ce qu’il voyait sur le papier. Presque comme s’il la touchait…
Sa mère lui secoua l’épaule, interrompant sa rêverie.
– Tranville a énormément
Weitere Kostenlose Bücher