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Les Poilus (La France sacrifiée)

Les Poilus (La France sacrifiée)

Titel: Les Poilus (La France sacrifiée) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Miquel
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d’Antibes avait lâché pied au bois de Malancourt, le 20 mars. Une enquête devait établir qu’il était « entré en pourparlers avec les Allemands », ainsi que le 258 e . Retirer du front les divisions douteuses ? Donner une prime à la lâcheté ? Pétain s’y refusait. La seule exigence était l’égalité devant la mort, scrupuleusement respectée. On changeait les généraux, on envoyait des renforts, mais la 29 e division combattrait jusqu’à l’extermination avant que ses débris ne fussent remplacés par des troupes fraîches.
    Pétain ne voit alors de remède à cette instabilité du moral que dans la noria des divisions, dans les relèves de plus en plus rapides. Les unités de renfort ne peuvent intervenir en plus des troupes au combat, elles doivent les remplacer au pied levé, prendre la suite du jeu de massacre. En vain le général commandant à Verdun demande-t-il à Joffre des renforts d’artillerie lourde qui permettraient d’économiser les vies humaines. À trois mille hommes de pertes tous les jours parmi les poilus, Falkenhayn aurait gagné bientôt son pari, il aurait « saigné l’armée française ». Mais Joffre gardait obstinément ses canons lourds pour l’offensive projetée sur la Somme. Il ne donnerait pas une pièce de plus. Pour « sauver Verdun », l’infanterie n’aurait que des 75.
    *
    Une intensification de la noria pouvait seule permettre de répondre à l’offensive allemande du début avril, précédée d’un intense bombardement. Désormais les divisions qui montaient en ligne pour remplacer les unités épuisées n’étaient pas fraîches. Elles assureraient au cours de la bataille jusqu’à trois ou quatre interventions par rotation, après s’être recomplétées à l’arrière par l’incorporation de jeunes soldats.
    Aristide Briand, Raymond Poincaré et de nombreux députés s’impatientaient, émus par les pertes accumulées. Ils demandaient non plus de prudence mais plus d’audace, qu’on sorte de l’inertie à Verdun, qu’on engage une offensive permettant de rejeter les Allemands. Pétain appelait à son quartier général le commandant de Tricornot de Rose pour lui demander de nettoyer le ciel du champ de bataille en engageant en groupe ses meilleures escadrilles de chasse. Mais il ne pouvait repousser les attaques allemandes, faute d’artillerie lourde mobile, qu’en sacrifiant une fois encore l’infanterie. Mangin, commandant la 5 e division, se voyait retirer l’une après l’autre ses unités pour combler d’urgence des brèches. Aucune opération d’ensemble n’était possible.
    Jeune soldat de la 42 e division de Verdun, Raymond Jubert grimpait les pentes du Mort-Homme sur des positions préparées par le génie, mais bombardées toute la nuit. L’attaque était menée par petits groupes, par sections bondissant d’un trou à l’autre. Jubert était parvenu au sommet. Les lignes allemandes étaient désertes. Comment prévenir son colonel ? Pas de téléphone, pas de coureurs. Il y va lui-même, bravant la mort, pour demander un renfort.
    « Débrouillez-vous seul. Toutes les unités disponibles sont déjà engagées. »
    Jubert regrimpe au sommet. Sa compagnie, parfaitement isolée, tient cinq jours et cinq nuits. Sa division est décimée, anéantie. D’autres troupes la remplacent, les coloniaux, les fantassins du général Taufflieb. Une fois de plus, le front tient par la résistance désespérée des soldats d’Avocourt et du Mort-Homme. Le général Nivelle, chaud partisan de l’offensive, nommé par Joffre à la tête d’un groupement, doit courber le dos comme les autres. Sur six cents pièces lourdes, l’armée de Verdun n’a pas de 155 courts. Il ne lui reste que 486 pièces en état de tirer, de modèles anciens, peu adaptées au combat mouvant de Verdun. Comment suivre Joffre, qui exige la reprise de l’offensive ?
    Les soldats n’y sont pas prêts. Français ou Allemands, ils se considèrent à Verdun, en dehors des explosions de haine non contrôlées des corps à corps, comme les victimes d’un même carnage. Le père Bonsirven, prisonnier et blessé du 2 e régiment de zouaves, raconte que les Allemands arrêtent les convois près des fontaines, pour que les prisonniers puissent boire. Un aumônier de la 51 e , également captif, s’intègre à un cercle de soldats allemands rassemblés dans la neige autour d’un brasero, « enveloppés dans des couvertures comme des moines ».

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